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Madrid

Climate Change,
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Pour notre dernière étape du projet CC-CoRDE, nous nous sommes arrêté.e.s dans la capitale espagnol : Madrid. 


“Rebel City” en 2015 aux côtés d’autres villes espagnoles (comme Barcelone, Saragosse, Valence, etc.), la victoire de la plateforme citoyenne Ahora Madrid, avec à sa tête l’avocate Manuela Carmena aux élections municipales de la même année, a provoqué la surprise générale. Toutefois, comme nous l’avons vu pour Barcelona en Comú à Barcelone, entrer dans les institutions publiques pour opérer des transformations qui répondent réellement aux demandes citoyennes n’est pas chose facile, d’autant plus dans une ville aux fortes inégalités entre le nord et le sud et dirigée par le parti de droite conservatrice, le Parti Populaire, depuis plus de vingt ans… 

 2015 : L’ESPOIR INCARNE PAR LA COALITION DE AHORA MADRID A LA TETE DE LA CAPITALE ESPAGNOLE

Victoire contre toute attente de la plateforme Ahora Madrid aux élections municipales de 2015 

Comme détaillé dans la newsletter sur Barcelone, à la suite du mouvement des Indigné.e.s, de nombreuses plateformes citoyennes émergent pour tenter de prendre le pouvoir à l’échelle locale lors des élections de 2015. 

Dès 2014, à Madrid, des espaces de discussions sous le nom de Municipalia sont organisés pour réfléchir à la création d’une “candidature citoyenne” à présenter aux élections municipales de l’année suivante. Quelques mois après, le mouvement prend le nom de Ganemos Madrid (Gagnez Madrid), inspiré de la plateforme barcelonaise “Guanyem Barcelona” (Gagnons Barcelone) et s’allie avec la branche madrilène du parti de gauche radicale Podemos, pour former en mars 2015 Ahora Madrid (Maintenant Madrid), une “candidature citoyenne d’union populaire”.

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Des membres de la plateforme citoyenne Ganemos Madrid  prennet la parole le 6 juin 2015 dans une ancienne fabrique de tabac de la capitale espagnole
© DANI POZO AFP

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Créé à l’origine en 2014 et se réclamant du mouvement des Indigné.e.s, le parti Podemos (Nous pouvons) avec à sa tête le Professeur de sciences politiques à l'université complutense de Madrid, Pablo Iglesia Turrión (qui deviendra en 2020 le deuxième vice président du gouvernement espagnol et ministre des Droits Sociaux et de l'Agenda 2030) souhaite dépasser le clivage gauche-droite lors des élections européennes de mai 2014. Le parti parvient à obtenir 5 député.e.s (dont Iglesias) au Parlement européen, et suscite la surprise générale face à l’écroulement du bipartisme traditionnel Parti Populaire (PP) / Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qui ont respectivement obtenus 16 sièges (contre 24 en 2009) et 14 sièges (contre 23). Lors des élections municipales de 2015, le parti décide de ne présenter aucune liste propre et de soutenir des listes locales citoyennes comme Ganemos Madrid dans la capitale espagnole. D’autres partis rejoignent Ahora Madrid pour former une coalition (Candidatos independientes, Equo, Convocatoria por Madrid, PUM+J, Piratas Madrid, CLI-AS, membres et ancien.ne.s membres de la Gauche unie de la communauté de Madrid (IU-CM), Juventud Sin Futuro,​ Partido X) soutenue par le Parti communiste de Madrid, ​Convocatoria por Madrid (Appel pour Madrid) ou Por un Mundo Más Justo (Pour un monde plus juste).

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Pablo Iglesia Turrión, leader de Podemos

En mars 2015, des primaires sont organisées et ont permis à plus de 15 000 personnes de voter en ligne pour choisir les candidats qui se présenteront aux élections municipales sous le nom de Ahora Madrid. Manuela Carmena, avocate connue pour son engagement sous la dictature de Franco au sein du Parti communiste d’Espagne, recueille 63 % des voix et prend la tête de la liste. L'élaboration du programme est ouverte à tous.tes les citoyen.ne.s et les mesures prioritaires à mettre en œuvre dans les 100 premiers jours suivant l’arrivée d’Ahora Madrid à la tête du conseil municipal sont également votées lors des primaires.

 

A la surprise générale, le 24 mai 2015, jour des élections municipales, Ahora Madrid parvient à obtenir 20 élu.e.s sur 57 et se positionne comme deuxième force politique après le PP (21 élu.e.s) au pouvoir depuis plus de vingt ans ! Parmi les 20 conseiller.ère.s, 8 sont membres de Podemos, 5 sont des dissident.es de la Gauche unie de la communauté de Madrid (IU-CM), 3 viennent de Ganemos, 3 sont des indépendant.e.s et 1 est membre d'Equo. Carmena est élue maire de Madrid grâce à une alliance avec les PSOE ayant obtenu 9 élu.e.s. Elle prend la tête du premier gouvernement de gauche à diriger la capitale depuis 1989 !

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Manuela Carmena, maire de Madrid de 2015-2019

Les politiques mises en place pendant les 4 ans de mandat

Avec un budget de 5000 millions par an (soit deux fois plus qu’à Barcelone), Ahora Madrid a au cours de ces quatre années de mandat mis en place différents projets.

✋Participation citoyenne : Dès septembre 2015, Manuela Carmena a lancé la plateforme “Decide Madrid” permettant aux citoyen.ne.s de faire des propositions politiques, d’en débattre, de participer à des consultations citoyennes ou encore de soutenir ou voter pour des projets avec des budgets participatifs. Malgré un budget de 60 millions d’euros, pour certain.e.s, la plateforme ne permettait pas suffisamment aux citoyen.ne.s de participer à l’élaboration de politiques ou de budgets sur des questions importantes. Aucune réelle démocratie délibérative n’a été institutionnalisée.

 

💰Réduction de la dette : Ahora Madrid a dû composer avec de forts endettements laissés par les mairies sortantes. En deux ans, Manuela Carmena, a ramené la dette municipale de 4,7 milliards d’euros à 3,7 milliards, soit l’objectif fixé initialement pour la fin de la législature, en 2019. Cette baisse de 19,7 % permise notamment grâce au travail du conseiller municipal chargé de l’Economie et des Finances, Carlos Sánchez Mato, est la meilleure progression de toutes les villes d'Espagne sur cette période. 
A noter qu’en Espagne, à partir de 2011, l’Union européenne a imposé plusieurs politiques d’austérité appliquées par le gouvernement national pour rembourser les dettes. La réforme de l’article 135 de la Constitution par exemple limite l’endettement et donne la priorité au paiement de la dette publique. L’adoption de la loi de 2012 “de rationalisation de l’administration locale” quant à elle permet au gouvernement espagnol de limiter l’autonomie et les compétences des villes afin d’encadrer leur dette. Réduire la dette est donc un enjeu central pour une municipalité si elle souhaite être autorisée à mettre en œuvre de nouveaux projets.

 

💵Salaires : Réduction de 55 % du salaire de la maire et de 41% de celui des conseiller.ère.s municipaux.les. Cette mesure ne concerne pas les conseiller.ère.s municipaux.les du PP et du PSOE, qui restent libres de l’appliquer ou non.

 

🌳Ecologie : 

.Interdiction des voitures thermiques dans le centre de Madrid, superblocks, zones à faible émission de 472 hectares, pacification des rues, pistes cyclables. Autant de mesures inspirées de Barcelona en Comú (cf newsletter Barcelone), qui ont mal été reçues à Madrid. Ces différentes politiques ont été remplacées par des législations moins ambitieuses et contraignantes après le départ de Manuela Carmena en 2019…

.Travail de renaturalisation de la rivière “Manzanares” de 2016 à 2020 suite à une proposition du mouvement écologiste Ecologistas en Acción (Ecologie en Action) à la municipalité de Ahora Madrid et grâce à un budget de 1,2 million d’euros.

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Renaturalisation de la rivière “Manzanares” 

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🐂Bien être animal : Les subventions annuelles d’un montant de 61 200 € à l’École de tauromachie de Madrid Marcial Lalanda (qui n’a que 38 élèves) sont supprimées à partir de 2016. Une année plus tard, le conseil municipal adopte (avec les votes du PSOE et de Ciudadanos) une ordonnance interdisant les cirques avec animaux sauvages aussi bien sur les terrains publics que privés de la capitale.

 

❌Lutte contre le franquisme : Contrairement aux précédentes municipalités de droite, Ahora Manuela Carmena décide de faire appliquer la loi sur la mémoire historique de 2007 obligeant à changer le nom des rues, places, monuments et établissements exaltant les figures du franquisme.

 

🏢Opération Chamartin : Madrid Nuevo Norte (Madrid New North), anciennement connu sous le nom d'Operación Chamartín, est l’un des plus grands projets de réaménagement urbain d’Europe estimé à plus de 8 milliards d’euros. Situé dans le nord de la capitale espagnole, ce programme vise à construire un quartier des affaires d’un “nouveau type” à Madrid, mettant fin à la fracture entre le nord-ouest et le nord-est de la ville, stimulant l’économie et rivalisant avec des grandes capitales européennes comme Londres ou Paris. Le projet a débuté en 1991, lorsque le gouvernement espagnol (le Ministère des Travaux Publics notamment), le conseil municipal de Madrid et le gouvernement régional de Madrid conçoivent ensemble le programme de rénovation de la gare de Chamartin et des quartiers adjacents. Le projet est géré et promu par la société privée Distrito Castellana Norte depuis 1994, dont les actionnaires sont le groupe multinational bancaire espagnol BBVA (72,5%) et la société espagnole dans le secteur de la construction et des énergies renouvelables San José Constructora (27,5%). Après une lutte administrative de vingt cinq ans qui met au point mort la mise en œuvre du projet, le programme de réaménagement urbanistique est repensé à la suite de la victoire de Manuela Carmena en 2015 et approuvé en 2019 par le conseil municipal puis en 2020 par le gouvernement régional. Les travaux doivent être achevés d’ici 2045 et permettre de remodeler 3,3 millions de m², dont 1,6 million de m² destinés à des bureaux et commerces et 1 million de m² à des immeubles résidentiels, et générer environ 241 700 nouveaux emplois.

La remise en marche de ce projet faramineux par Manuela Carmena sous la pression des lobbies, a suscité de nombreux désaccords au sein de Ahora Madrid et une incompréhension chez certain.e.s citoyen.ne.s. Si sur le site internet de Distrito Castellana Norte, la société privée vente “un modèle de ville socialement, économiquement et écologiquement durable”, reposant sur le “fruit d'une collaboration public-privé et d'une participation citoyenne”, pour certain.e.s citoyen.ne.s et élu.e.s, le projet Madrid Nuevo Norte ne fera que renforcer les inégalités déjà très fortes entre le Nord et le Sud de la ville, simplement au nom d’une croissance économique qui profitera en grande partie aux acteur.rice.s privé.e.s et très peu aux habitant.e.s. Ce projet est donc bien loin des valeurs de justice sociale, d’écologie, de communs et de démocratie pourtant initialement au cœur du projet politique de Ahora Madrid… Beaucoup ne s’y retrouvent donc plus …

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Projet Madrid Nuevo Norte

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La chute de Manuela Carmena aux élections de 2019 et 2023 ? 

Création de Más Madrid : une rupture interne définitive au sein de Podemos
 

Malgré les controverses de Madrid Nuevo Norte, à la fin de l’année 2018, Manuela Carmena annonce son intention de se présenter aux élections municipales de 2019 grâce à une plateforme différente d'Ahora Madrid : Más Madrid. Íñigo Errejón, numéro deux de Podemos entre 2014 et 2017, porte-parole parlementaire du même parti de 2016 à 2018, et tête de liste provisoir de Podemos pour les élections régionales de 2019 dans la communauté de Madrid, décide en janvier 2019 de rompre avec Podemos pour se présenter aux élections du 26 mai suivantes dans la Communauté de Madrid sous le nom de Más Madrid. [A noter qu’en Espagne, les élections municipales et régionales ont généralement lieu le même jour, sauf exception]. Cette rupture au sein de Podemos est le résultat de deux projets politiques concurrents portés par deux cofondateurs du parti, Iglesias et Errejón notamment lors du congrès Vistalegre II de 2017 (nom de l’assemblée citoyenne de Podemos). Iglesias avec Podemos para todas (Nous pouvons pour tous), défend un engagement accrues auprès des luttes sociale et de la société civile et opposition ferme aux partis traditionnels PP, PSOE et Ciudadanos-Partido de la Ciudadanía (Citoyens-Parti de la Citoyenneté). Dès 2016, après avoir limogé Sergio Pascual, secrétaire à l’organisation du parti et proche de Errejón, Pablo Iglesia avait commencé à chercher de nouveaux allié.e.s politiques et conclut un accord avec le parti de gauche radicale Izquierda Unida (La gauche unie) d’Alberto Garzó pour créer l’alliance Unidos Podemos et dépasser le score du PSOE lors des élections générales de 2016. La stratégie d’Errejón, au sein de  Podemos recuperar la ilusión (Nous pouvons récupérer l’illusion), est tout autre. Selon lui, Podemos ne doit plus être un parti d'opposition et de résistance, mais doit gagner en crédibilité pour obtenir la confiance des électeur.rice.s déçu.e.s du PSOE.

 

Finalement, les 155 275 participant.e.s à la consultation ont voté à plus de 50% pour la candidature de Podemos para todas portée par Pablo Iglesias (contre entre 33 et 35 % pour Recuperar la ilusión d’Iñigo Errejón,  et 10% pour le projet anticapitaliste). Avec 37 sièges sur les 62 à pourvoir, les membres de l’équipe de Pablo Iglesias occupent 60% du nouveau conseil citoyen. Les 23 élu.e.s de l’équipe d’Iñigo Errejón représentent 37% de celui-ci, les anticapitalistes 3% avec seulement 2 sièges. Iglesias est également de nouveau élu au poste de secrétaire général avec 89% des voix, face à son seul concurrent, Juan Moreno. Yagüe, député au Parlement d’Andalousie et peu connu du grand public. D’emblée, Iglesias souhaite reconduire la structure verticale adoptée à Vistalegre I contrairement à ce que défendait Errejon… 
Enfin, la signature du pacte des “pâtés”  entre  Errejón et Manuela Carmena en 2019 pour sortir de l’ombre d’Iglesias marque finalement une rupture définitive au sein de Podemos et est perçue comme une réelle trahison. Iglesias décide de présenter une liste Podemos alternative à celle de Más Madrid d'Errejón lors des élections régionales dans la communauté de Madrid (cependant, Podemos ne présente pas de liste Podemos alternative à celle de Más Madrid de Carmena pour les élections municipales).

Résultats des élections municipales et régionales de 2019


Le 26 mai 2019, Más Madrid obtient le plus grand nombre de voix (30,94%) et 19 conseiller.ère.s au niveau municipal (un siège de moins que Ahora Madrid en 2015). Toutefois, les 8 élu.e.s du PSOE ne permettent pas de constituer une majorité absolue au sein du conseil municipal. Avec 30 élu.e.s, le bloc de droite composé du PP, de Vox et de Ciudadano trouve un accord pour gouverner la ville. José Luis Martínez-Almeida, tête de liste du PP est finalement investi maire de Madrid par le conseil municipal et succède à Manuela Carmena.
A l’échelle régionale, Más Madrid d’Errejón obtient 14,65% des voix et 20 sièges. La liste dirigée par Podemos Unidas Podemos Izquierda Unida Madrid en Pie (Unis Nous pouvons, Gauche Unie, Madrid debout), a quant à elle obtenu seulement 5 % des voix. Le bloc de gauche (PSOE, Podemos, Más Madrid) tout comme à l’échelle municipale n’a pas réussi à former une majorité absolue. Le PP et Ciudadanos forment un gouvernement de coalition avec le soutien sans participation de Vox. Isabel Díaz Ayuso, tête de liste du PP, devient présidente de la communauté madrilène.

Résultats des élections municipales et régionales de 2023
 

Le dimanche 28 mai 2023 se sont tenues les élections municipales espagnoles caractérisées par la montée de la droite et la percée de l’extrême droite dans l’ensemble de l'Espagne. La capitale espagnole n’est pas en reste. Le PP du maire José Luis Martínez-Almeida obtient 29 sièges, soit 14 de plus qu’en 2019. Le parti Vox gagne 1 siège et obtient 5 élu.e.s. La plateforme Más Madrid, avec à sa tête Rita Maestre, conseillère municipale et porte parole de la mairie sous Carmena, perd 7 sièges et obtient le score le plus bas depuis 2015 avec 12 élu.e.s. José Luis Martínez-Almeida se maintient ainsi à la tête de la ville. 
A l’échelle régionale, le PP parvient à obtenir 70 élu.e.s sur 135, soit 40 élu.e.s de plus qu’en 2019, ce qui permet à Isabel Díaz Ayuso de se maintenir à la présidence de la Communauté de Madrid. (A noter que des élections régionales anticipées avaient été organisées en 2021 et avaient permis au PP de gagner 35 sièges de plus qu’en 2019!!!).

Initialement source d'espoir et de renouveau politique à l'échelle locale et régionale, Más Madrid perd au fur et à mesure des élections ses soutiens. Mario, membre de Ahora Madrid que nous avons rencontré.e.s lors de notre passage dans la capitale espagnole, nous a parlé de la difficulté pour une plateforme citoyenne de diriger Madrid. Dans cette ville de 3,3 millions d’habitant.e.s, traditionnellement conservatrice et soumise à d’importantes inégalités entre le Nord et le Sud,  mettre en oeuvre des transformations profondes est difficile face à des citoyen.ne.s qui s'opposent à tout changement et à des fonctionnaires souvent proches du PP qui se maintiennent en dépit du résultat des élections. De plus, contrairement à Barcelona en Comù, la plateforme madrilène n’est restée que quatre ans à la tête de la ville, et a fait de la réduction de la dette une de ses principales priorités pour  pouvoir ensuite proposer d’autres projets transformateurs. Selon Mario, pour pérenniser les projets, le temps long est essentiel : ”Le plus important n’est pas de faire de la politique, mais de changer ce que les gens pensent”. Gagner les élections n’est donc pas synonyme de gagner le pouvoir, surtout dans un pays où les régions ont un rôle central à jouer. Contrairement à la Barcelone en Catalogne, la plateforme citoyenne madrilène a toujours dû négocier avec une région dirigée par la droite…

Les élections nationales en Espagne : Más Madrid dans Sumar

Pour autant, Más Madrid ne veut pas en rester là. Lors des élections générales du 10 novembre 2019, Íñigo Errejón décide de transformer Más Madrid en parti national, et crée Más País (Plus de Pays). La plateforme nationale s’associe aux écologistes d'Equo, à la gauche nationaliste valencienne de Compromís et aragonaise de la Chunta Aragonesista dans plusieurs circonscriptions. La plateforme citoyenne parvient à obtenir trois député.e.s sur 350 et rejoint le Groupe parlementaire pluriel, créé la même année.

 

Pour les élections générales de 2023, malgré la défaite de Más Madrid aux élections locales et régionales, Más País rejoint la coalition Sumar regroupant quinze partis de gauche et écologiques (dont Barcelona en Comù, Podemos, IU, etc). Más País parvient à faire élire 2 député.e.s parmi les 31 élu.e.s au sein de Sumar (sur 350). Toutefois au niveau national, le climat politique est incertain (cf newsletter Barcelone). Si aucun accord entre les partis traditionnels de droite (PP) et de gauche (PSOE) n’est trouvé pour gouverner, de nouvelles élections devront être organisées. La création de la plateforme Sumar est néanmoins source d’espoir et d’unification pour la gauche. Si elle parvient à se maintenir d’ici les élections européennes de juin 2024, il sera intéressant de voir quelles stratégies les différents partis de la coalition parviennent à adopter pour rester unis malgré leur pluralité de visions et vers quel(s) groupe(s) parlementaire(s) ils se rapprocheront (Groupe des Verts/Alliance libre européenne ou Le Groupe de la Gauche).

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Iñigo Errejón, lors de la présentation de la candidature Más País en septembre 2019 © Daniel Duch

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Si les institutions publiques et l'urgence écologique, sociale et démocratique ne s’inscrivent pas dans les mêmes temporalités, elles ne doivent pas être opposées. En effet, les mouvements citoyen.ne.s ont pour rôle de rappeler l’urgence de la situation et donnent une direction politique qui doit ensuite nécessairement être pérennisée par les institutions publiques. Ainsi, lors de notre passage à Madrid nous avons rencontré plusieurs groupes militants autour des questions d’écologie, de démocratie délibérative et de communs. 

AUJOURD’HUI : TRANSFORMER LES POLITIQUES GRACE AUX MOUVEMENTS CITOYEN.NE.S GRASSROOTS 

Le mouvement écologique espagnol

En Espagne, les politiques écologiques ont depuis toujours tendance à être reléguées au second plan par rapport aux questions économiques et sociales. Pourtant, nombre de collectifs espagnols ne cessent depuis des dizaines d’années de rappeler que la crise climatique est systémique, et que la fin du monde et la fin du mois (pour reprendre le slogan des gilets jaunes) ne peuvent être opposées. 
Dès les années 1950, les premières pétitions voient le jour pour protéger la réserve de Doñana des repeuplements d'eucalyptus qui la menacent. Elles donnent naissance au premier groupe écologiste, la Société espagnole d'ornithologie (SEO, 1954), soutenu par des personnalités du monde financier et politique. C’est cependant réellement dans les années 1960 que le mouvement écologiste prend de l’ampleur en Espagne, face aux conséquences de la croissance économique sur le climat et la biodiversité. Deux courants empruntent des trajectoires différentes : le conservatisme qui se concentre sur la préservation de la nature (parcs naturels, etc.), et l'environnementalisme politique (qui prendra le nom ensuite d’écologie politique), qui conjugue à la fois protection des écosystèmes et pointe du doigt la responsabilité des politiques économiques et industrielles du gouvernement.

 

-Félix Rodríguez de la Fuente, figure centrale du conservatisme espagnol, naturaliste et homme de radio et télévision, quitte le SEO en 1968 et fonde l'Association pour la défense de la nature (ADENA) (35 000 membres) qui reste proche des élites politiques. En 1971 est d’ailleurs créé l' Institut pour la conservation de la nature (Instituto para la Conservación de la Naturaleza, ICONA ) rattaché au Ministère de l'Agriculture. 

 

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-L’écologie politique prend quant à elle réellement racine en Espagne, lorsque les questions environnementales rencontrent les questions sociales. À partir du milieu des années 1960, les mouvements de quartiers dénoncent les mauvaises conditions de vie et les pollutions de l'air et de l'eau dans les banlieues populaires. Ces revendications se trouvent renforcées par le constat scientifique du Club de Rome qui publie en 1972, Les limites de la croissance, et montre que la croissance infinie dans un monde fini n’est physiquement pas possible. La même année, la Conférence des Nations unies sur l'environnement, aussi connue sous le nom de Conférence de Stockholm a été convoquée. Dans ce contexte, une des organisations pionnières d’écologie politique en Espagne, l'Association espagnole pour la gestion de l'environnement (Asociación Española para la Ordenación del Medio Ambiente, AEORMA), est créée en 1970 et a pour buts de sensibiliser le public à la nécessité d'un aménagement du territoire, d’étudier les principaux problèmes environnementaux, de rechercher des solutions en collaborant avec des organismes compétents, de créer un pôle universitaire spécialisé dans l'étude du paysage et de fournir de la documentation. L’AEORMA défend notamment "l'arrêt immédiat de la construction de centrales nucléaires jusqu'à ce que la technologie résolve les graves problèmes que leur mise en œuvre implique ». 

 

En juin 1977, une trentaine de groupes écologistes se réunissent et donnent naissance à la Fédération du mouvement écologiste qui joue un rôle de structuration importante pour le mouvement écologique espagnol, malgré sa dissolution en 1978. Dans un contexte de reconversion industrielle des pays dans les années 1980, les intérêts du mouvement écologiste s'opposant aux industries polluantes, entrent en confrontation avec les revendications du mouvement ouvrier qui défend l'emploi. De plus, la présence dans le paysage politique du parti écologiste espagnol  Federación de Los Verdes (La Fédération des Verts) depuis 1984, et l’engagement des militant.e.s, n’aboutissent à aucun changement transformateur. Différents groupes locaux et régionaux de citoyen.ne.s décident alors de se fédérer et créent en 1998, Ecologistas en Acción (Écologistes en Action). Le collectif regroupe des militant.e.s d’horizons politiques différents mais dont le point commun est de lier luttes écologiques et luttes sociales : 

 

"Ecologistas en Acción est une organisation sociale plurielle où s'intègrent différentes manières de vivre l'environnementalisme, et où l'on comprend que le destin des sociétés humaines est indissociable des écosystèmes naturels”. 

Toutefois, les politiques écologiques et sociales restent largement insuffisantes dans le pays qui est un des plus pollueurs de l’Union européenne. Lors de notre passage à Madrid, nous avons rencontré deux des trois cofondateur.rice.s de Contra el diluvio (Contre le déluge), Xan Lopez et Hector Tejero (également élu d’opposition à la région de Madrid). Face à l'absence d’actions et de débats publics sur les questions climatiques et écologiques, iels ont décidé d'organiser des conférences et des manifestations à partir de 2017. Après la crise du covid qui a affaibli le mouvement mais qui a également permis d’éveiller quelques consciences, Xan nous confie que désormais, le changement climatique est devenue une question politique importante (a minima dans les partis de gauche et dans les syndicats), et une thématique connue du grand public. Aujourd’hui, le nouvel enjeu pour Contra el diluvio est d’obtenir des victoires politiques. Pour se faire le mouvement écologiste doit gagner en efficacité, se structure et se lier à d’autres luttes, comme celle féministe, très présente en Espagne. Néanmoins, le mouvement écologique est affaibli aujourd’hui, par la confrontation de deux visions : les “collapsologues”, pour qui l’effondrement de la civilisation industrielle est inévitable et doit aboutir à l’émergence de communautés locales résilientes et conviviales ; et les  “technosolutionnistes”, persuadé.e.s que le progrès technique peut résoudre l’ensemble des problèmes actuels (malgré les nombreuses mises en garde des scientifiques sur les dangers de cette croyance !!!). Le mouvement écologiste en Espagne souffre également, comme dans de nombreux pays européens, d’une forte répression policière qui l'affaiblit et le contraint à s'adapter en permanence… 

 

Les assemblées citoyennes, des initiatives citoyennes comme Marea deliberativa (Marée délibérative)

De nombreux mouvements s’intéressent de plus en plus à la démocratie participative et délibérative en Espagne, poussant notamment à l’organisation d’assemblées citoyennes, un dispositif encore méconnu de la population et des élu.e.s. C’est notamment le cas de  Marea deliberativa (Marée délibérative).

 

Rencontre avec Ricardo, militant de la PAH, à Barcelone le 13/07/23

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Assemblée Citoyenne pour le Climat en Espagne

Qu'en est-il de la participation délibérative en Espagne ?

 

En 2021, l'État espagnol a organisé sa première assemblée citoyenne sur le climat. Elle s’est déroulée pour sa quasi-totalité en ligne et n’a eu qu’un très faible retentissement médiatique. Elle a fait suite à la déclaration sur l’urgence climatique et environnementale en Espagne approuvée par le Conseil des ministres le 20 janvier 2020 et à sa concrétisation dans la loi sur le changement climatique et la transition énergétique du 20 mai 2021. 100 citoyen.ne.s tiré.e.s au sort selon différents critères pour assurer une certaine représentativité, ont ainsi pu être rassemblé.e.s lors des six séances de travail de cinq heures réalisées entre décembre 2021 et juin 2022. Iels avaient pour mission de proposer des mesures d’atténuation et d’adaption aux changements climatiques sur la base des principes de justice sociale et de solidarité172 recommandations ont émergé des débats autour des cinq grands axes suivants : la consommation, l’alimentation et l’usage des terres, les communautés, la santé et le bien-être, le travail et les écosystèmes. Si certaines recommandations sont très précises, d’autres sont très vagues et laissées à la libre interprétation du gouvernement.
On retrouve par exemple l’interdiction des vols internes lorsque des alternatives en train existent (recommandation n°66) ou l’accélération de la création de communautés énergétiques dans les municipalités (recommandation n°6) mais aussi un déploiement de moyens pour former les nouveaux.lles professionnel.le.s du modèle économique circulaire futur (recommandation°26) ou encore la protection des bâtiments et infrastructures des lieux de travail existants contre les effets du changement climatique (recommandation°96). Toutefois, deux ans après la fin des délibérations, ces recommandations n’ont toujours pas été reprises par les pouvoirs publics.


A l’échelle locale, cette fois, les assemblées citoyennes aussi se multiplient. Plusieurs assemblées pour le climat ont débuté dans différentes villes d’Espagne comme à Gipuzkoa ou à Majorque en 2023. La Palma aux Canaries et la ville de Valence se sont également engagées dernièrement à mettre en place des assemblées citoyennes sur le climat et l’énergie. Cependant, si ce dispositif se démocratise de plus en plus, toutes les assemblées citoyennes ne se valent pas. De nombreux paramètres peuvent différer allant de la sélection des citoyen.ne.s au suivi des recommandation en passant par la qualité des conditions de débats. La légitimité de ces assemblées, leur impact en termes de politiques publiques mises en place et de médiatisation, peuvent s’en trouver réduites. Leur caractère ponctuel peut aussi en faire des outils de communication au service d’un agenda politique bien ficelé, ne visant en rien une réelle transformation des pratiques démocratiques où le “citoyen.ne ordinaire”  serait remis au centre.
 

Qu'en est-il de la démocratie délibérative à Madrid ? 


Déjà, une dizaine d’années plus tôt, le mouvement des Indigné.e.s réclamait une “Democracia real ya !” (Démocratie réelle maintenant). Face à la crise de la démocratie représentative et des partis traditionnels ultra-personnalisés, les citoyen.ne.s ont occupé la place Puerta del Sol à Madrid et y ont expérimenté différents processus au sein d’assemblées auto-gérées. 

 

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Puerta del Sol à Madrid  lors du mouvement des Indigné.e.s

Ces expériences ont nourri le mouvement municipaliste espagnol de 2015 qui a inspiré d’autres villes européennes par la suite. Pour réinventer la démocratie et remettre les citoyen.ne.s au cœur des décisions politiques, les différents mouvements municipalistes se sont appuyés sur des plateformes citoyennes numériques qui sont maintenant utilisées par des centaines de villes dans le monde entier. Dans le cas du mouvement Ahora Madrid la plateforme Decide Madrid. permettait par exemple à toustes les résident.e.s de plus de 16 ans de s’exprimer en proposant et votant. Si une proposition recevait plus de 1% des électeur.rice.s, elle était soumise à un référendum dont le gouvernement s’engageait à respecter l’issue. D’autres instances participatives à l’échelle des quartiers ont été mises en place ainsi que l’Observatorio de la ciudad (Observatoire de la ville). Cette assemblée citoyenne permanente se constituait de 49 citoyen.ne.s tiré.e.s au sort chaque année qui se réunissait 8 fois par an afin d’évaluer les politiques municipales. Ce dispositif n’a été mis en place que quelques mois avant que le droite ne soit réélue à la tête de Madrid en 2019, démantelant les différents dispositifs mis en place par l’équipe de Manuela Carmena et de l’adjoint à la participation citoyenne. Ce poste avait d’ailleurs été créé par le mouvement municipaliste une fois arrivé au pouvoir.

 

Le rôle de Marea Deliberativa aujourd'hui ?


Dernièrement, en amont des élections du 23 juillet, Marea Deliberativa et 17 autres associations ont lancé la campagne Démocratie pour le climat afin de faire valoir leurs revendications que l’on peut retrouver dans leur manifeste Étendre la démocratie pour faire face à l'urgence climatique. Elles réclament notamment un Pacte Écologique prévoyant une pérennisation des assemblées citoyennes pour qu’elles ne dépendent plus simplement de la volonté politique des partis. La droite du PP n’ayant pas obtenu la majorité absolue aux élections générales anticipées du 23 juillet dernier, comme cela était craint, les organisations de Démocratie pour le climat pensent se focaliser sur l’échelon national. Elles espèrent pouvoir obtenir un Pacte Écologique qui puisse avoir un impact structurel sur les institutions publiques sur le long terme. Ces différentes organisations  qui militent toutes pour des organes de démocratie participative permanents et contraignants s’inspirent des modèles belges comme l’assemblée citoyenne  permanente pour le climat mise en place par la région Bruxelles-capitale ou les commissions mixtes mêlant député.e.s et citoyen.ne.s.  Elles s’inspirent également d’autres organisations européennes telles que, Democracy Next, la Sortition Foundation ou encore le mouvement citoyen suisse Agissons.

Communs : le jardin collectif “Esta es una plaza” 

(Ceci est une place)

Dans le quartier de Lavapiès de Madrid, dans la rue Doctor Fouquet, des citoyen.ne.s ont récupéré un espace abandonné depuis 30 ans pour le ransformer en un jardin accueillant différentes activités culturelles et artistiques. En 2008, des citoyen.ne.s du voisinage se sont réuni.e.s pour réfléchir ensemble à la transformation de cet espace, sur lequel se trouvaient auparavant une usine d’orfèvrerie et un atelier de poterie. Après plusieurs mois de négociations avec le conseil municipal, quelques manifestations sur la Plaza de Puerta Cerrada, et l'obligation de se constituer en association, les citoyen.ne.s ont obtenu une première concession de 5 ans en décembre 2009. Cette dernière a ensuite été reconduite plusieurs fois et arrivera à son terme dans deux ans. Esta es una plaza est le nom donné à ce jardin collectif autogéré et ouvert à toustes. Tout le monde peut proposer des activités et occuper l’espace, à conditions d’en prendre soin et de respecter la gratuité et les valeurs anti-raciste, anti-sexiste et anti-fasciste de la communauté. Toute personne qui le souhaite peut disposer d’une clé du jardin comme c’est le cas déjà pour 90 membres. Divers espaces y ont été aménagés tels qu’un potager, un compost et un méthaniseur, une zone laissée en friche, un cinéma en plein air, une bibliothèque et un atelier de bricolage partagés, des terrains de jeux pour les enfants et plusieurs fresques murales temporaires dont une de l’artiste Blu dont nous avions déjà croisé la route lors de notre passage dans quelques occupations italiennes (cf newsletter Rome). 

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Le jardin collectif “Esta es una plaza” 

En quelques années, cet ancien terrain vague est devenu un îlot de fraîcheur au sein de la capitale, lieu de rencontre et de convivialité.
Les règles d’usages de ce commun sont décidées au sein de l’assemblée horizontale mensuelle. Plusieurs autres assemblées relatives aux différents projets s’auto-organisent en parallèle :  groupes de parents, de promenades pour animaux de compagnie, du potager, de distributions de paniers de fruits et légumes, d’enseignant.e.s d’écoles du quartier, etc.

 

Madrid abrite différents espaces autogérés et communs urbains tels que celui-ci. Ces jardins collectifs, ou autres bâtiments publics ou privés occupés et réappropriés par les citoyen.ne.s, ont le plus souvent un usage socio-culturel similaire aux centres sociaux italiens. Mais ces dix dernières années, ils ont été nombreux à être évacués.

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