
Barcelone
Climate Change,
Commons and Radical
Democracy in

Bonjour à tous.tes !
L'aventure CC-CoRDE approche de la fin, et nous sommes arrivé.e.s dans le dernier pays du voyage : l’Espagne !
Pour notre premier stop, nous nous sommes rendu.e.s en Catalogne, à Barcelone.
A la tête de la ville emblématique du mouvement municipaliste, la maire Ada Colau, du parti de gauche radicale et écologiste Barcelona en Comú (BeC), au pouvoir depuis 2015, a perdu les élections municipales du 28 mai 2023. Incarnant à l’origine un grand espoir de renouveau politique, BeC est l’exemple d’un mouvement social et citoyen qui a réussi à gagner les institutions publiques. En dépit d’un programme ambitieux, la municipalité d’Ada Colau a été confrontée aux difficultés liées à l’exercice du pouvoir et à la montée des partis de droite et d’extrême droite.
2015 : LA VAGUE MUNCIPALISTE ESPAGNOLE
La plateforme citoyenne de Barcelona en Comú
L’arrivée au pouvoir d’un mouvement citoyen comme BeC s’inscrit dans un contexte antérieur plus large de Transition Démocratique Espagnole. Ce processus de démocratisation qui débute à la mort du dictateur Francisco Franco en 1975, met fin à “l’ère franquiste”, marquée par sa dureté et sa violence envers sa population : perte de libertés, exécutions des opposant.e.s politiques, censure, tortures, etc. Elle s’achève avec l’arrivée au pouvoir du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Felipe González en 1982. Au cours de cette transition démocratique, des élections multipartites sont organisées en 1977 et une nouvelle Constitution, défendant notamment une “démocratie avancée”, le pluralisme, la tolérance, l’égalité, les droits et libertés fondamentales, est adoptée par référendum en 1978.
Dès lors, le parti centre gauche social-démocrate, PSOE, et le le parti de centre droite conservateur issu du franquisme, Parti populaire (PP), s’alternent à la tête du gouvernement espagnol. Tous deux mettent en place des politiques de libéralisation de l’économie, de privatisation, de libre concurrence et des politiques pro-européennes (l’Espagne devient membre de la Communauté Économique Européenne en 1986). Les scandales de corruption sont nombreux, et la crise de 2008, qui touche gravement le pays, conduit à une explosion du taux de chômage (24,4 % en mars 2012) et à la mise en place de politiques d'austérité (baisses des salaires du secteur public, report de l’âge légal de départ à la retraite 65 à 67 ans, etc.) à l’origine de mouvements sociaux massifs.
L’un des plus connus est celui des Indigné.e.s (Indignados), aussi appelé “15-M” en référence au 15 mai 2011, date de lancement du mouvement non-violent sur la place Puerta del Sol à Madrid par l’organisation citoyenne ¡Democracia Real Ya! (« Une vraie démocratie, maintenant »). Le mouvement rassemble des centaines de milliers de manifestant.e.s dans une cinquantaines de villes espagnoles (dont Barcelone) pour en finir avec le bipartisme PP et PSOE, mettre un terme à la “dictature des marchés” et à ses conséquences écologiques et sociales, et demander des politiques plus démocratiques et qui répondent réellement aux besoins des citoyen.ne.s. Les manifestations ont lieu à l'approche des élections municipales, fixées au 22 mai 2011 et le mouvement qui scande le slogan “ Iels ne nous représentent pas !” (“¡Que no nos representan!”), appelle à ne voter ni pour le PP, ni pour le PSOE. S’inspirant des Printemps Arabes et composé en majorité de jeunes entre 20 et 35 ans sachant parler anglais et utiliser les outils numériques, le mouvement du 15-M se propage et s’organise sur les réseaux sociaux et sur internet. Pendant plusieurs semaines, des campements ainsi que des assemblées générales sont organisés et aboutissent à la rédaction de propositions politiques, notamment au sein du campement de Madrid “acampadaSol”. Le mouvement est source de nombreux espoirs et montre que des alternatives à la politique traditionnelle existent et permettent de gouverner par, pour et avec les citoyen.ne.s. Le mouvement dépasse les frontières espagnoles et se propage à l'international dans plus de 80 pays (France, Italie, Allemagne, Grèce, Portugal, Royaume-Uni, etc.). D’autres appels internationaux sont ensuite lancés, s’inspirant des Indignados, comme le mouvement Occupy.
Le masque de Fawkes, symbole des indigné.e.s dans le monde entier (MARIO LAPORTA / AFP)
Se mobiliser en dehors des institutions publiques n’étant pas suffisant pour faire advenir des changements plus structurels selon certain.e.s, plusieurs citoyen.n.e.s décident de se lancer dans la course aux élections municipales. C’est notamment le cas à Barcelone.
Le 15 juin 2014 est publié sur internet le manifeste de la plateforme Guanyem Barcelona ("Gagnons Barcelone") regroupant une trentaine de citoyen.ne.s issu.e.s de différents mouvements sociaux dont le 15-M, des associations de voisinage, des personnalités issues du monde académique et de la culture.
Ada Colau, maire de Barcelone, avec les adjoint.e.s au maire Gerardo Pisarello et Laia Ortiz / EFE
Le mouvement propose un nouveau discours politique et revendique l’occupation des institutions politiques par des gens ordinaires, sans expérience institutionnelle préalable, pour transformer la façon de faire de la politique. Le mouvement a pour objectifs de lutter contre l’exclusion et les inégalités sociales, contre la privatisation des communs, contre le tourisme massif incontrôlé, ou encore contre la pollution de l’air et revendique une meilleure gestion et une réduction des déchets. Il souhaite également régénérer la démocratie, en luttant contre la corruption, en prônant une totale transparence dans le travail des élu.e.s et en assurant une vraie participation citoyenne. À la différence des partis sociaux-démocrates, la plateforme ne souhaite pas faire de la politique au nom des gens : ce sont les gens qui doivent elleux-mêmes être des acteur.rice.s dans la prise de décision politique. Ces principes sont mis en place dès la phase de construction du programme politique. Dès août, soit un mois avant la date prévue par le manifeste, 30 000 signatures de soutien sont recueillies. Des réunions locales sont également organisées en parallèle dans toute la ville. Elles sont complétées par des comités techniques et politiques et par un vaste processus de consultation en ligne pour construire un programme en lien avec les problématiques du quotidien et imaginé par et pour les citoyen.ne.s.
Après avoir rédiger un code éthique avec les citoyen.ne.s permettant de définir les lignes de conduite à respecter par les futur.e.s élu.e.s, le 10 février 2015, la plateforme se présente publiquement sous le nom de Barcelona en Comú (le nom de Guanyem Barcelona ayant déjà été déposé quelques jours auparavant...). Elle se définit moins comme un parti que comme un mouvement de confluence de divers partis de gauche et écologistes, regroupant Iniciativa per Catalunya-Verds ("Initiative pour la Catalogne Verts", ICV), EUiA, Equo, Procés Constituent ou encore le parti Podemos créé après le mouvement des Indignados dans le cadre des élections européennes de 2014. Le 28 février, l’activiste pour le droit au logement Ada Colau présente sa candidature aux primaires en tant que tête de liste pour les municipales, avec pour numéro deux Gerardo Pisarello (Procés Constituent), numéro 3 Laia Ortiz (ICV) et numéro 4 Jaume Asens (Podemos). La candidature a été complétée le 12 mars par des primaires ouvertes à tous.tes les citoyen.ne.s pour choisir les conseiller.ère.s municipaux.les des districts de la ville.
Après des mois de campagne intense (qui peuvent être suivis dans le documentaire “Ada for Mayor”), et de nombreuses tentatives de décrédibilisation de la part des partis traditionnels, la liste de BeC arrive en tête des élections municipales du 24 mai 2015, avec 25,21 % des voix et obtient 11 sièges (sur 41). La barcelonaise Ada Colau est élue maire le 13 juin suivant et devient la première femme maire de Barcelone, militante, ouvertement bisexuelle et issue du milieu ouvrier. Pour constituer une majorité au sein du conseil municipal, BeC s’est allié au parti de centre gauche indépendantiste La Gauche Républicaine Catalane (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC), au Parti social démocrate des socialistes de Catalogne (Partit dels Socialistes de Catalunya, PSC), et a reçu le soutien de la Candidature d'unité populaire (Candidatura d'Unitat Popular, CUP), parti de gauche radicale et indépendantiste.
Affiche du documentaire "Ada For Mayor "(2016)
Lancement du mouvement des Fearless Cities
Dans l'ensemble de l’Espagne, les élections municipales de 2015 sont à l’origine d’un important renouveau dans les municipalités, et portent au pouvoir des élu.e.s souhaitant faire de la politique autrement. Barcelone, Madrid, Valence, Saragosse, Pampelune, La Corogne, Cadix, Ferrol ou encore Saint-Jacques-de-Compostelle, avec à leur tête des plateformes citoyennes, sont surnommées les “Rebel Cities” et lancent un réel mouvement de transformation des politiques à l’échelle locale en inventant des institutions “en commun” et établissant une coopération public-citoyen.ne.s.
En 2017, la première conférence des Fearless Cities est organisée à Barcelone et marque le point de départ de la construction d’un réseau municipaliste européen (European Municipaliste Network) et international, dont les objectifs sont pluriels :
💜Féminiser les politiques : donner une plus grande place aux femmes (et plus largement aux minorités) dans les processus de prise de décision, s’autoriser à exprimer ses doutes et ses contradictions en politique, mettre la question du soin (care) au cœur des politiques ou pour reprendre les mots d’Ada Colau : "Vous pouvez faire de la politique sans être un homme fort, arrogant, ultra-confiant, qui a une réponse à tout". Pour se former sur ces questions, un MOOC de European Municipalité Network a été créé.
✋ Mettre en place plus d'outils de démocratie radicale pour permettre une réelle participation des citoyen.ne.s dans la prise de décision (listes citoyennes, assemblées citoyennes, etc.).
❌ Lutter contre la montée de l’extrême droite.
Proposer une économie respectueuse du vivant et des limites planétaires (économie du donut, etc.).
“Dans un monde où la peur et les inégalités sont détournées en haine, les villes "sans peur" se dressent pour défendre les droits humains, la démocratie et le bien commun. Ce mouvement municipaliste mondial s'est réuni pour la première fois lors du Sommet des “Villes sans peur” à Barcelone en juin 2017, à l'invitation de Barcelona En Comú, dans le but de radicaliser la démocratie, de féminiser la politique et de s'opposer à l'extrême droite. Depuis, ces mouvements de quartier, maires et conseils locaux collaborent pour construire des réseaux mondiaux de solidarité et d'espoir à partir de la base.” Site des Fearless Cities
Ce premier sommet international a permis de regrouper plus de 700 personnes représentant des centaines d’organisations municipales du monde entier. Un Guide du Municipalisme (2018) a également été écrit dans la continuité de ce premier rassemblement. Rédigé par plus de 140 personnes issu.e.s de 19 pays différents, ce guide est une boîte à outils, recensant les bonnes pratiques pour mettre en place une plateforme municipaliste, rédiger un manifeste participatif, obtenir des financements, et gagner les élections locales. Le livre est aujourd’hui traduit en six langues (la version suédoise arrivant cf newsletter Malmö).
Depuis, d’autres sommets ont eu lieu en Europe et à l’international : Varsovie (2018), New-York (2018), Bruxelles (2018), Valparaíso (2018), Naples (2019), Belgrade (2019), Barcelone (2021), Rosário (2022).
L'élection de BeC à Barcelona dépasse ainsi largement l’échelle de la localité …
Guide du Municipalisme
Aujourd’hui : le municipalisme en perte de vitesse à Barcelone ?
💰 Salaires : Les salaires des élu.e.s de BeC ont été réduits par rapport aux salaires des municipalités précédentes. L’argent ainsi économisé a pu être versé à un fonds dédié à des projets sociaux de la ville au cours des huit années de mandat.
⚡ Energie : Une des politiques les plus importantes des mandats de BeC est la création en 2018 du fournisseur municipal d'énergies renouvelables, Barcelona Energia, pour la région métropolitaine de Barcelone. Barcelona Energia est géré par TERSA, une entreprise publique de services environnementaux et fournit de l'électricité aux bâtiments et installations de la mairie de Barcelone ainsi qu' aux citoyen.ne.s et entreprises de la métropole.
🚴 Mobilités : Barcelone est la ville européenne avec la densité de voitures la plus élevée. La régulation de son utilisation est donc un enjeu central pour réduire la pollution de l’air dans la ville. BeC a mis en place un programme ambitieux de “Superblock” (Superilla) notamment dans le quartier de Sant Antoni. Chaque gros bloc de bâtiments est composé de six petits blocs dans lesquels la voiture est interdite. Le trafic des voitures est donc dévié sur un axe faisant le tour de ces six blocs et où l’utilisation de la voiture reste autorisée. Si cette transformation urbanistique a permis de réduire le trafic des voitures, la pollution de l’air et a permis de multiplier les espaces verts, elle est aussi à l’origine d’une montée des prix des logements du quartier… En effet, ce programme qui fait rêver à l’international devient le nouvel urbanisme à la mode et attire les populations les plus aisées…
Ce projet urbanistique s’inscrit dans une politique de mobilité plus large. BeC a par exemple décidé de déployer les zones de basses émissions, multiplier les pistes cyclables dans la ville, et a mis en place une politique de “pacification des rues” notamment autour des écoles, pour multiplier les espaces piétons et obliger les voitures à rouler lentement.
💧 Eau : La municipalité de BeC a mis en place des campagnes dans les écoles pour appeler à réduire la consommation d’eau dans un contexte de sécheresse généralisée.
Plus original, iels ont créé des Systèmes de drainage urbain durables (Sustainable Urban Drainage Systems, SUDS). Ces systèmes constituent des alternatives au drainage conventionnel et permettent de reproduire en ville l'écoulement naturel des eaux afin d'accroître la résilience aux événements pluvieux extrêmes dans les centres urbains : utiliser les eaux de ruissellement à l’endroit où elles tombent, fournir un habitat attrayant pour la faune et la flore et encourager la recharge naturelle des eaux souterraines.
La ville n’utilise également pas d’eau potable pour nettoyer les rues.
✋ Participation citoyenne : La municipalité a mis en place une plateforme de participation citoyenne numérique, Decidim.Barcelona, permettant aux citoyen.ne.s de faire des propositions politiques à la mairie, de participer aux budgets participatifs, ou encore de recueillir les signatures pour une initiative citoyenne.
De juillet à décembre 2021, la mairie a également organisé le Forum de la jeunesse BCN (Fòrum Jove BCN), une assemblée composée de 99 jeunes tiré.e.s au sort âgé.e.s de 16 à 29 ans, dans le but d’écrire des recommandations au conseil municipal pour répondre à la question : En tant que jeune vivant à Barcelone, de quoi auriez-vous besoin pour réaliser votre projet de vie ? Pendant 12 sessions, l’assemblée s’est penchée sur trois sujets : la santé mentale, l’éducation et l’émancipation. Ce forum a été pensé après la crise du covid à l’origine d’un accroissement des difficultés sociales et économiques pour les jeunes. 27 recommandations ont finalement été formulées. Le conseil municipal s’est engagé à les étudier et à motiver son choix dans le cas d’une non-application de certaines d’entre elles. Le suivi peut être directement fait sur la plateforme decidim.
A la fin de l’année 2022, un second processus délibératif a été mis en place par la mairie : L'Assemblée Citoyenne pour le Climat. Cent personnes entre 16 et 75 ont été tiré.e.s au sort pour répondre à la question : Que pouvons-nous faire de mieux pour faire face à l'urgence climatique à Barcelone ? De nouveau, trois sujets ont été priorisés par les participant.e.s : l’énergie, la mobilité, la consommation et les déchets. Dix sessions ont été organisées entre septembre et décembre 2022. Lors de la dernière session, 34 propositions ont été présentées et votées. Une commission de suivi composée d’élu.e.s, de participant.e.s et d’acteur.rices agissant dans la lutte contre le changement climatique a été créée pour suivre l’évolution de l’application des recommandations.
Grâce à ces nombreux projets, Barcelone a été élue Capitale européenne de la démocratie 2023/2024.
🏖️ Tourisme de masse : Depuis les Jeux Olympiques de 1992, Barcelone est devenue une destination attractive. En 2019, la ville a accueilli plus de 15 millions de touristes. Le tourisme de masse, source d’enrichissement pour la ville et aussi à l'origine de nombreuses pollutions et de pressions foncières. Dès 2015, la municipalité a donc mis en place un Plan Spécial de l'Hébergement Touristique (PEUAT) pour réussir à concilier habitations pour les touristes et garantir le droit fondamental au logement aux habitant.e.s.
🌞 Chaleur : Pour faire face aux épisodes caniculaires de plus en plus réguliers et extrêmes, BeC a multiplié les “Climate refuges” en intérieur et en extérieur qui sont aujourd'hui au nombre de 200.
♻️ Déchets : Concernant la gestion des déchets, la ville s’occupe de la collecte, tandis que la métropole se charge du traitement au travers d’une entreprise publique. Néanmoins, une grande partie de la population barcelonaise ne fait pas correctement le tri des déchets…
Dans un quartier ouvrier ainsi que dans un quartier populaire, BeC expérimente (avec difficulté…) la collecte des déchets au porte-à-porte. Contrairement aux autres quartiers, les déchets ne doivent pas être triés puis jetés dans des poubelles situées à quelques mètres des habitations, mais directement dans des conteneurs situés au plus près des immeubles.
Cette politique s'accompagne de campagnes de sensibilisation dans toute la ville, et du développement d’espaces de réparation d’objets.
Avant les élections de 2023, BeC avait pour volonté de créer des bacs de compostages dans la ville, ainsi qu’une entreprise municipale de gestion des déchets plastiques pour remplacer leur actuel partenaire privé Ecoembes.
Après huit années au pouvoir, nous pouvons lister quelques mesures mises en place par BeC grâce à un budget de 2300 millions d’euros/an.
Toutefois, la mise en place de ces différentes politiques sociales et écologiques à Barcelone n’ont pas permis à BeC de se maintenir à la tête de la mairie pour un troisième mandat lors des élections du 28 mai 2023.
Cette perte de popularité des partis de gauche n’est néanmoins pas spécifique à Barcelone. En effet, l’ensemble des villes en Espagne a fait face à une montée de la droite et à une percée de l’extrême droite lors des dernières élections municipales. En prenant en compte l’ensemble des municipalités espagnoles, le Parti populaire (PP) a réussi à réunir plus de 6,9 millions de voix (31,5 %), contre 6,3 millions pour le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Le parti d’extrême droite, Vox, est aussi un autre grand vainqueur de ces élections municipales puisqu'il est parvenu à doubler son résultat en quatre ans en regroupant 1,5 million de voix (7,19 %).
A Barcelone, si lors des élections de 2019, la liste de BeC était arrivée en deuxième position en obtenant 20,7 % des voix (soit une perte de 4,5 % par rapport à 2015) et 10 sièges (contre 11 en 2015), Ada Colau était parvenue à se faire réélire grâce à une coalition avec le Parti Socialiste Catalan (PSC) ayant obtenu 8 sièges. Toutefois, lors des élections de 2023, la liste de BeC arrive en troisième position avec 19,77% des voix et perd de nouveau un siège (9 sièges sur 41). BeC décide alors de passer un accord avec le PSC, ayant obtenu 10 sièges, pour contrer la montée du parti de centre droit indépendantiste de l’ancien maire de Barcelone Xavier Trias, Junts (“Ensemble pour la Catalogne”), arrivé en première place avec 11 conseiller.ère.s (soit 6 conseiller.ère.s de plus qu’en 2019 !), et l’entrée de deux élu.e.s du parti d’extrême droite Vox dans le conseil municipal. Avec 9 élu.e.s pour BeC contre 10 pour le PSC, Jaume Collboni (PSC) est finalement élu maire de Barcelone et prend la place de Ada Colau…
Cette défaite de BeC peut s’expliquer par divers facteurs et doit être nuancée : elle n’est pas nécessairement représentative d’une insatisfaction de la part des citoyen.ne.s.
Gagner les élections ne veut pas dire gagner le pouvoir …
En effet, le mouvement n’a perdu que 1% des votes par rapport à 2019. Cette défaite s'explique davantage par la montée de la droite (+6 sièges) et de l’extrême droite (+2 sièges), et par la candidature de nombreuses listes à l’origine d’une fragmentation du conseil municipal (9 listes). Durant ces deux précédents mandats, BeC n’a donc jamais gouverné avec la majorité absolue et a toujours dû s’allier avec d’autres partis moins radicaux pour tenter de mettre en place des politiques, souvent moins ambitieuses que souhaitées, ce qui a valu beaucoup de critiques au mouvement …
De plus, la crise catalane a fragilisé BeC. Barcelone est située dans une des dix sept communautés autonomes espagnoles, la Catalogne, qui regroupe 7,5 millions de personnes, possède sa propre langue, sa propre police et son propre gouvernement basé à Barcelone. La Catalogne est une région très dynamique et importante pour l’économie espagnole, puisqu’elle constitue 20% du PIB national (2016). Selon les Indépendantistes, la région donne plus à l’Etat qu’elle ne reçoit, et possède une culture et une histoire propres. Deux consultations symboliques sur l’indépendance de la Catalogne ont déjà été organisées, en 2014 et en 2017, sans valeur légale et pourtant lourdement réprimées… Face à cette question éminemment clivante dans la ville et dans tout le pays, BeC fait le choix de défendre la tenue d’un référendum, sans se positionner sur l'indépendance ou non de la Catalogne. Ce “non” positionnement n’a pas fait l’unanimité et a affaibli le parti d’Ada Colau.
Enfin, transformer les institutions publiques et mettre en place des politiques écologiques et sociales s’inscrit sur les temps longs et ne relève pas simplement de l’échelle locale. En effet, en Espagne, les municipalités ont peu de compétences et ont besoin du soutien de la métropole et de la région. De plus, les résultats des politiques mises en place ne sont le plus souvent pas directement visibles pour les citoyen.ne.s, qui ont ainsi le sentiment que rien n’a réellement changé… Dès son entrée dans la mairie en 2015, Ada Colau n’avait pas caché l'importance du rôle des municipalités pour répondre à l’urgence mais aussi leurs limites d’action : “Nous pouvons prouver qu'il existe une autre façon de gouverner, plus inclusive, en travaillant avec les citoyen.ne.s, plus qu'en leur demandant de voter tous les quatre ans. Nous sommes très conscient.e.s que le véritable changement doit être global, qu'une ville seule ne peut pas résoudre tous les problèmes auxquels nous sommes confronté.e.s." (Ada Colau quelques semaines après les élections municipales de 2015, dans une interview pour Democracy Now!).
Tout n’est pas perdu pour autant. Cette nouvelle position dans l'opposition pourrait permettre à BeC de changer de stratégie. Ne plus recevoir les critiques frontales, les pressions de toute part qui vont de pair avec l’exercice du pouvoir et disposer de plus de temps, peut être l’occasion pour BeC de renouer avec les mouvements sociaux desquels iels s'étaient éloigné.e.s en accédant au pouvoir et de repenser une stratégie à moyen et long termes avec elleux.
Toutefois au niveau national, le climat politique est encore incertain. Après la montée de la droite aux élections municipales, le premier ministre Pedro Sánchez a appelé à des élections générales anticipées qui ont eu lieu le 23 juillet dernier. Aucune majorité absolue ne s’est dégagée, débouchant ainsi sur un blocage politique. Si aucun accord entre les partis traditionnels de droite (PP) et de gauche (PSOE) n’est trouvé pour gouverner, de nouvelles élections devront être organisées. En revanche, cela a été l’occasion pour une nouvelle coalition de gauche de se constituer autour de la plateforme Sumar et d’obtenir 31 sièges sur les 350. Nous vous en dirons plus dans notre prochaine newsletter sur Madrid.
DEFAITE DE BeC : QUELLES CONSEQUENCES SUR LES INITIATIVES CITOYENNES BARCELONAISES ?
La Plateforme des victimes du crédit hypothécaire :
La PAH (Plataforma de Afectados por la Hipoteca)
Créée en 2009 à Barcelone, la PAH est une association militant pour le droit au logement garanti par l’article 47 de la Constitution espagnole (1978) co-fondée par Ada Colau et désormais présente dans toute l’Espagne. L’association est néanmoins apartisane, et n’est pas rattachée à BeC. A Barcelone, c’est un mouvement horizontal qui propose notamment deux assemblées hebdomadaires : le lundi pour aider les personnes sur le point d'être expulsées (en présence d’un.e avocat.e et de personnes venant témoigner), et le mardi pour prendre les décisions stratégiques. Des centaines de personnes sont bénévoles à la PAH de Barcelone et s'organisent en différents cercles. Trois personnes travaillent également sur un sujet de recherche avec la plateforme Observatori de los derechos económicos, sociales y culturales DESC (L’Observatoire des Droits Economiques, Sociaux et Culturels) en lien avec la municipalité ce qui leur permet d’être rémunéré.e.s.
La PAH est apparue après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en septembre 2008 à l’origine d'une importante crise immobilière en Espagne. La crise de 2008 a fait exploser le taux de chômage dans le pays (20% en 2010) et de nombreux.ses Espagnol.e.s n’étaient plus capables de rembourser leur crédit immobilier contracté auparavant suite à une politique incitative mise en place par le gouvernement national. Suite à la crise, les banques ont récupéré les biens immobiliers souvent hypothéqués pour rembourser leurs prêts. Des centaines de milliers de familles ont alors été expulsées de leur maison ou de leur appartement. Dès lors, la PAH a lancé plusieurs campagnes :
-Stop expulsions : La plateforme mène des actions de désobéissance civile non violente pour empêcher les expulsions en se regroupant devant les logements concernés. Cette campagne a permis d’éviter des milliers d’expulsions.
-Des mobilisations nationales, notamment celle du 25 septembre 2011, dans 41 villes d'Espagne.
-Des initiatives législatives populaires (ILP) pour demander un droit au logement pour tous.tes et non seulement pour les personnes venant à la PAH.
En 2014, soit un an après l’échec de l’IPL espagnole devant le Congrès des député.e.s, les mouvements sociaux Aliança contra la pobresa energètica (“Alliance contre la précarité énergétique”) et l'Observatori DESC conduits par la PAH, souhaitent introduire à l'échelle de la Catalogne les mesures ayant été rejetée par le Parti Populaire à l'échelle nationale. Cette ILP intitulée « mesures urgentes pour répondre à l'urgence du logement et la précarité énergétique » a pour objectif :
-d’accorder une “deuxième chance” aux personnes surendettées, leur permettant de recourir à la dation en paiement pour solder leur crédit hypothécaire ;
-de prévenir les expulsions en accordant un loyer social (au montant plafonné en fonction des revenus des foyers) aux personnes vulnérables dont le logement appartient aux établissements financiers et aux grands propriétaires et en obligeant les administrations à les reloger en cas d’expulsions ;
-de lutter contre la précarité énergétique en imposant aux fournisseur.se.s d'eau, de gaz et d'électricité un principe de précaution pour garantir le droit aux services de base d'eau potable, de gaz et d'électricité des personnes en situation de risque d’expulsion et de précarité énergétique ;
-et d’augmenter le parc de logements sociaux en mettant en location forcée les logements vides détenus (et récupérés) par les établissements financiers.
L’IPL parvient à recueillir 143 000 signatures en quatre mois, soit trois fois plus que nécessaire, et la proposition de loi est déposée au Parlement de Catalogne le 28 mai 2015, qui l’adopte à l’unanimité le 23 juillet 2015 (Loi 24/2015).
Pour autant, en avril 2016, le gouvernement espagnol avec à sa tête le PP, décide d'exercer un recours contre la loi devant le Tribunal constitutionnel et demande la suspension provisoire du texte. De nombreuses manifestations sont organisées en Catalogne. Le Président du Parlement Catalan Carles Puigdemont, Ada Colau et les différentes municipalités et mouvements sociaux se réunissent pour défendre la loi et s’opposer au recours du gouvernement espagnol.
Un nouveau projet de loi de “mesures de protection du droit au logement”, est proposé pour contourner la suspension en remplaçant les articles contestés. Les citoyen.ne.s à l’origine de l’ILP, dont la PAH, critiquent toutefois ce projet de loi qu’iels trouvent moins ambitieux que l’original. Le projet de loi est malgré tout adopté par le conseil exécutif le 4 octobre 2016 puis par le Parlement de Catalogne à l'unanimité le 22 décembre 2016.
Selon Ricardo de la PAH avec qui nous avons discuté, cette loi est considérée comme l'une des plus protectrices du monde par L’Organisation des Nations Unies (ONU). Néanmoins, si elle était pertinente dans les années 2010, aujourd’hui la situation est différente. L'hypothèque ne constitue plus la réalité du marché immobilier et cette loi ne permet pas de couvrir les locataires et les squatteur.se.s qui ne parviennent plus à payer leur loyer ou à trouver un logement. De plus, si la loi a été adoptée, il convient désormais de l’appliquer, ce qui semble difficile dans des municipalités qui sont en grande majorité dirigées par le PP depuis les dernières élections….
Perte de la maire de BeC : quels changements pour la PAH ?
Lorsque nous demandons à Ricardo de la PAH, quels ont été les grands changements en matière de droit au logement lorsque BeC était à la tête de la mairie, il nous répond qu’il n’y en a eu que très peu… En réalité, le logement ne relève pas d’une compétence de la municipalité mais de la région.
Néanmoins, l’arrivée de BeC au pouvoir a permis de fluidifier les échanges et de discuter avec un gouvernement plus ouvert sur ces questions que le précédent. Le gouvernement d'Ada Colau a notamment permis à la ville d’acquérir le plus grand parc de logements sociaux d'Espagne et de proposer un service de médiation entre les locateur.trice.s et les propriétaires pour aider à la résolution de conflit. Pour autant, les expulsions n’ont pas cessé sous le mandat d’Ada Colau et les relations entre la municipalité et la PAH restent conflictuelles. S’il est vrai que la compétence du logement ne relève pas des municipalités, cette première peut malgré tout lutter contre une série de pratiques abusives par le biais de règlements d'urbanisme, de réglementations locales et d’accords avec les entreprises privées. Pour Ricardo, les réglementations mises en place n’ont pas été suivies d’un contrôle rigoureux, laissant alors impunies les entreprises ne respectant pas les conditions. Selon lui, le gouvernement de Ada Colau n’a pas mis en place les politiques de logement qu’il souhaitait, toutefois, il restait plus engagé sur ces questions que le gouvernement local précédent…Désormais, avec le parti Junts à la tête de Barcelone, Ricardo pense que le nouveau gouvernement mettra peu d’énergie sur la question du droit au logement… Même si une nouvelle loi sur le logement est tout récemment passée à l’échelle nationale (avril 2023), elle reste également insuffisante selon lui et ne permettra pas de transformer radicalement les politiques locales… La PAH est alors prête à continuer à faire pression.
Rencontre avec Ricardo, militant de la PAH, à Barcelone le 13/07/23
Pour aller plus loin :
-Documentaire sur la PAH (EN)
-Article de Ricardo Dubcek , militant de la PAH de Barcelone
femPROCOMUNS : une coopérative de communs
Page d'accueil du site internet de femPROCOMUNS
Créée en 2017 en Catalogne, femPROCOMUNS (littéralement “on fait des communs” en catalan) est une coopérative sans but lucratif qui crée et apporte son soutien à des projets dont le modèle économique repose sur les communs. La coopérative est composée de cinq membres “travailleur.se.s” (worker members), travaillant pour la coopérative et étant rémunéré.e.s), de “consommateur.rice.s” (user members) utilisant les services de la coopérative en échange d’une petite somme d’argent, et de collaborateur.rice.s (collaborator members) travaillant souvent sur un projet spécifique. Chaque groupe a des pouvoirs de décisions particuliers.
La coopérative propose à la fois des cartographies et des diagnostics participatifs, du conseil et de la formation à des associations ou des institutions publiques ou privées, ainsi que des outils technologiques open source constituant des alternatives au GAFAM.
Elle s’organise en 4 “groupes d’activités coopératifs” ("Grups d’Activitat Cooperativitzada", GAC) dont chacun est économiquement soutenable et indépendant :
☁️ CommonsCloud : lancé en 2018, le groupe a pour objectif de permettre aux membres de la coopérative et partenaires de travailler et communiquer sur des outils numériques et des logiciels libres alternatifs à celleux des GAFAM.
📖 Teixidora : le projet a été lancé en 2016 et a rejoint la femPROCOMUNS en 2018. Il offre une documentation collaborative et variée sur de nombreux sujets (féminisme, crise du covid, participation politique, etc.) notamment sur sa plateforme en ligne. Il permet également de faciliter le travail entre organisateur.rice.s, bénévoles, intervenant.e.s lors d’évènements. En 2017, le projet a reçu le Prix de la qualité démocratique de la mairie de Barcelone.
🌐 Open and Community Network of the Internet of Things (XOIC) : ce GAC propose un réseau de communautés “internet” alternatif libre et gratuit détenu par la communauté elle-même. Ce projet a initialement été lancé par l'association Freeknowledge Catalunya et The Things Network en Catalogne dont l’objectif est de couvrir toute la ville de Barcelone et ses environs grâce au protocole LoRaWAN, un réseau de longue portée et peu énergivore. Le projet a été soutenu par la mairie de Barcelone qui a permis la tenue de 40 ateliers et deux hackathons dans la ville.
🗫 Transitant (“En transition”) : Ce groupe d’activités coopératives exerce des missions d’animation, de sensibilisation, de formation, d'accompagnement, ou encore de réflexion sur la question des communs, des coopératives, et des économies alternatives. Les membres du groupe apportent notamment leur soutien à différents projets en leur permettant de réfléchir à la viabilité de leur structure et à leur modèle économique. Pour ce faire, le groupe s’appuie sur des supports pédagogiques comme un jeu de cartes sur l'économie des biens communs ou encore sur le modèle de soutenabilité des communs pour analyser les projets existants ou en construire des nouveaux.
Modèle de soutenabilité des communs
FemPROCOMUNS fait également partie d’autres projets, en lien avec la municipalité de BeC. En 2019, iels étaient chargé.e.s avec le LabCoop de coordonner le processus de co-création de la communauté d'incubation de Coòpolis et de l'espace physique, qui devait ouvrir ses portes à Can Batlló en octobre de la même année. Plusieurs cercles de travail ont été créés pour imaginer collectivement les contours du futur incubateur : recensement de bonnes pratiques, réalisation d’ateliers, espace de co-working pour commencer les premiers projets de l’incubateur, etc. Cette Université Coopérative de Barcelone est un dispositif qui vise à encourager et promouvoir un écosystème d’activités portées sur l'Économie Sociale et Solidaire dans la ville de Barcelone et est soutenu par la municipalité. En cinq années, l’incubateur a accueilli plus d’une centaine de projets que femPROCOMUNS a pu accompagner.
Perte de la maire de BeC : quels changements pour la femPROCOMUNS ?
Nous avons posé cette question à David, un des membres “travailleur.se.s” de femPROCOMUNS.
D’une part, le réseau de coopératives est très bien implanté en Catalogne, et plus généralement dans toute l’Espagne depuis le début du XXe siècle. Les changements de mairies ont donc peu d’impact sur ce réseau. Néanmoins, d’autres changements sont possibles.
FemPROCOMUNS faisait notamment partie de groupes de travail mis en place par la mairie pour travailler sur l’amélioration de la digitalisation de l’économie de façon soutenable à l’horizon 2030. David ne pense pas que ces groupes seront fermés par le nouveau gouvernement, néanmoins ils pourront être délaissés et mourir lentement… Ce type de projets impulsés par la municipalité montre donc ses limites : si aucune communauté pérenne n’est construite pour suivre le projet, il reste très dépendants de la municipalité.
Concernant ses financements, la coopérative essaie d’être de plus en plus autonome. Une partie (50%) provient de financements publics, dont municipaux, et le reste est issu des projets de la coopérative. Réussir à être indépendant financièrement constitue donc un enjeu important pour femPROCOMUNS qui lui permettrait de se libérer (au moins en partie) des logiques électorales.
Enfin, la coopérative possède des locaux dans le Canòdrom. Ancien cynodrome, ce lieu est désormais municipal et a été transformé, sous Ada Colau, en un laboratoire citoyen autour des innovations digitales et démocratiques. Toute association travaillant sur ces sujets peut demander à avoir des locaux gratuits, pour une durée de deux ans, en échange de l’organisation régulière d’activités gratuites ouvertes à tous.tes. A voir donc ce que deviendra ce lieu avec le changement de municipalité et si femPROCOMUNS pourra de nouveau avoir des locaux en son sein...
Rencontre avec David de femPROCOMUNS, à Barcelone le 17/07/23
Démocratie énergétique
Lors de notre passage à Barcelone, nous nous sommes de nouveau penché.e.s sur la question de la démocratie énergétique.
Le projet pilote de la communauté énergétique de Poblenou
Nous avons rencontré César Ochoa qui travaille sur le projet pilote de la Communauté énergétique de Poblenou (Comunitat energètica del Poblenou) qui est financé par la mairie et agit cette fois au niveau de la production d’énergie, en étroite collaboration avec le fournisseur municipal Barcelona Energia.
Cette communauté est née d’une initiative citoyenne et notamment du travail de l’Association des voisin.ne.s et résident.e.s de Poblenou et de l’association de familles qui ont proposé ce projet au gouvernement de BeC en 2020. Dès lors, la mairie de Ada Colau, avec l’Agence de l’énergie, le lycée “Institut Quatre Cantons” et les deux associations de voisin.e.s, lancent le projet pilote de la communauté énergétique dans un des quartiers du district de Sant Martí de Barcelone, Poblenou. Les premiers travaux du projet pilote ont débuté en 2021 avec l'installation de panneaux solaires d’une puissance de 58 KWc sur le toit de l’Institut Quatre Cantons. Les panneaux photovoltaïques devraient produire 73 750 kWh/an d’électricité, soit une production équivalente à la consommation de 32 logements standards. Ces premiers panneaux permettront de fournir de l’énergie à l’Institut, à certains bâtiments municipaux (le Centre Civique Can Felipa - Bureaux des Droits Sociaux et la caserne des pompiers du Levant), à un second lycée (l’Institut Maria Espinalt) et une vingtaine de foyers situés à moins de 500m de l’Institut. La participation des citoyen.ne.s est volontaire et les coûts sont assumés par la mairie dans le cadre de l'expérimentation, dont l’objectif final est de multiplier les espaces de production pour faire grandir la communauté. L’énergie produite par la communauté sera ensuite commercialisée par le fournisseur d’énergie municipal Barcelona Energia. Si aujourd’hui, les panneaux photovoltaïques produisent de l’énergie, cette dernière ne sera injectée dans le réseau qu’en septembre-octobre prochains.
A voir donc si le nouveau gouvernement aura une politique énergétique ambitieuse et continuera ou non le travail commencé par BeC.
Vers une remunicipalisation du réseau de distribution ?
Le réseau énergétique en Espagne, comme beaucoup d’autres pays européens (cf Newsletter démocratie énergétique), se trouve dans les mains d’une poignée d’entreprises très puissantes : Endesa, Naturgy (ex Gas Natural Fenosa), Hidrocantábrico, Iberdrola et Viesgo. Cet oligopole énergétique influence également grandement la (non) ambition des politiques de transition énergétique dans la pays. Outre cette action de lobbying, ces entreprises refusent de se plier aux législations des communautés autonomes espagnoles, comme la loi 24/2015 relative à la précarité énergétique en Catalogne (évoquée plus haut) qui impose aux entreprises d’appliquer un principe de précaution. Avant de couper l'accès aux services de base, l’entreprise doit évaluer, avec l’aide des services sociaux municipaux, la situation économique du. de la bénéficiaire qui n’est plus en capacité de payer.
Pour démanteler cet oligopole énergétique, des mouvements citoyens naissent. Ils tentent de se constituer en contre pouvoir et d’imposer la réduction de la production et de la consommation d'énergie, la sortie de la dépendance aux énergies fossiles et d’impulser une vraie démocratisation du secteur de l’énergie.
Ainsi, en 2009, un groupe d'ancien.ne.s étudiant.e.s et professeur.e.s de l'université de Gérone, s’inspire d’initiatives européennes (Ecopower en Belgique, Enercoop en France, Greenpeace Energy en Allemagne), pour créer Som Energia (“nous somme énergie”), une coopérative espagnole de production et de consommation d'énergies renouvelables, particulièrement implantée en Catalogne. La coopérative produit de l’électricité 100% renouvelable à partir de différents projets (panneaux photovoltaïques, usines de biogaz, minicentrales hydroélectriques, éoliennes, biomasse), financés par les coopérateur.rice.s elleux-mêmes, par une participation volontaire au capital social (=montant total de tous les types d'apports donnés par les coopérateur.rice.s et les partenaires à la coopérative lors de sa création ou de la mise en place d’un projet, en échange de droits sociaux) ou par des titres participatifs pour les personnes qui se sont ni coopérateur.rice.s, ni partenaires et ne peuvent pas voter lors des assemblées. Aujourd’hui, Som Energia produit 22,99GWh/an, équivalent à la consommation de 9 800 foyers. En plus de la production, la coopérative agit au niveau de la commercialisation d’électricité verte et est depuis 2011, le premier fournisseur d'énergies renouvelables basé en Catalogne à développer des projets rentables. La coopérative agit également sur le plan de la précarité énergétique en appliquant à l’échelle de toute l’Espagne le principe de précaution énoncé par loi catalane 24/2015, en dialoguant directement avec les services sociaux des municipalités pour éviter les coupures des services de bases aux personnes ne pouvant pas payer leur facture d'électricité, et en collaborant avec des professionel.le.s du secteur de l’énergie grâce à ses groupes locaux.
Logo Som Energia
Cette reprise de contrôle des réseaux de production et de commercialisation par les citoyen.ne.s ne parvient cependant pas à constituer un réel contre pouvoir. Les quelques entreprises continuent de dicter leurs lois notamment grâce à leur contrôle quasi total (98%) de la distribution. Ce réseau est grandement stratégique puisqu'il assure le lien entre la production et le compteur électrique, et accorde la (dé)connexion au réseau. En Espagne, il est notamment dans les mains de l’entreprise privée espagnole Endesa. Dans une perspective de décentralisation et d’une reconnexion des lieux de production et de consommation, la réappropriation par les citoyen.ne.s du réseau de distribution a donc un rôle central à jouer.
Face à ce constat, un réseau de souveraineté énergétique Xarxa per la sobirania energètica (Xse) s’est constitué en 2013 avec la publication de son manifeste, et regroupe des associations, des collectifs citoyens, des coopératives (dont Som Energia) de tout le territoire catalan militant pour une remunicipalisation du réseau de distribution de l’électricité et une transformation démocratique et écoféministe du secteur énergétique.
Logo Xse
Lors de notre passage à Barcelone, nous avons rencontré Guifré, étudiant au sein du master en Ecologie Politique, Décroissance, et Justice Environnementale à l’Université autonome de Barcelone (Universitat Autònoma de Barcelona), qui nous a parlé de ce réseau de souveraineté énergétique dont il fait parti. Il nous a expliqué que remunicipaliser le réseau de distribution est très difficile pour une commune, du fait du cadre législatif espagnol qui verrouille toute possibilité de récupérer ce secteur une fois perdu. En Espagne, seules quelques villes et villages, comme Cadix (Andalousie), Centelles y Almenar (Catalogne) ou encore Crevillent et Alginet (Valencia) ont donc la main sur la distribution de l'électricité. Xse tente malgré tout d’agir à travers l'organisation d’évènements, la réalisation d’études, ou encore par l’écriture de propositions politiques destinées aux communes, en 2015, 2019 et 2023, pour promouvoir la souveraineté énergétique des municipalités.
Concernant le mandat de BeC, Guifré nous confie que la municipalité s’est avant tout concentrée sur la production et la commercialisation, au travers de Barcelona Energia (et de la communauté de Poblenou), sans accorder une importance particulière à la distribution. En plus de militer pour la retour de la distribution dans le domaine public, Xse promeut une plus large participation des citoyen.ne.s. En effet, sans un réel débat social permettant de transformer collectivement le secteur de l’énergie, l’installation de panneaux photovoltaïques ou d'éoliennes continuera à être source de conflits. Sans faire fi de l'urgence climatique et sociale, il semble donc essentiel de prendre le temps pour débattre et donner un sens politique porté collectivement aux installations d’énergies renouvelables. En 2018, Xse a notamment réfléchi à la démocratisation de la gouvernance de Barcelona Energia pour permettre une plus large participation des citoyen.ne.s.
Quel futur pour les mouvements citoyens écologiques et sociaux ?
En entrant dans les institutions publiques, les militant.e.s de BeC n’ont pas réussi à mettre en place les politiques radicalement transformatrices du fait des difficultés liées à l’exercice du pouvoir. Toutefois, les mobilisations citoyennes sont nécessaires pour soutenir ces politiques et/ou les impulser. Aujourd’hui, un réseau moins institutionnel et moins connecté aux partis se reconstruit : le réseau pour la justice climatique (Xarxa per la Justícia Climàtica). Ce nouvel artefact politique dont Guifré fait partie au travers de Xse, souhaite, grâce à une approche intersectionnelle, faire converger les luttes pour répondre à l’urgence écologique et sociale, et contrer la montée de l’extrême droite. Guifré nous confie que “la montée actuelle du fascisme” pourra au moins peut être permettre aux différents mouvements citoyens de s’unir pour mieux y faire face...

Pour aller plus loin :
-article : Le gouvernement du changement ? L’approche de Barcelona en Comú de la gouvernance métropolitaine, Mariona Tomàs
-article : La gauche en net recul aux élections municipales et régionalessur la montée de la droite en Espagne, Le Monde
-film : Ada for Mayor (2016)
-article : BARCELONE EN COMÚ. LAURA ROTH. MARCELO EXPÓSITO, sur le site de CommmonsPolis
-article : Huit leçons de Barcelona en Comú sur la façon de reprendre le contrôle, Open Democracy
-article dur la démocratie énergétique : Building a powerful regional network for energy sovereignty, Transformative cities
-article sur la lutte contre l'oligopole de l'électricité : Dossier Villes contre multinationales Débrancher l'oligopole, Ritimo