
Zagreb
Climate Change,
Commons and Radical
Democracy in

Pour la 13ème ville que nous traversons, nous sommes de retour à l’intérieur des frontières de l’Union européenne, en Croatie, à Zagreb. Cette dernière étape dans un pays d’Europe centrale était l’occasion de rencontrer un mouvement citoyen qui détient le pouvoir. Nous allons voir ici comment un groupe de citoyen.ne.s mobilisé.e.s pour le droit à la ville a abouti à une liste municipale puis à un parti national, aujourd’hui élu dans deux villes de Croatie, dont la capitale Zagreb.
L’HISTOIRE RECENTE DE LA CROATIE, MARQUEE PAR SON INTEGRATION A L’UNION EUROPEENNE

Membre de la Yougoslavie communiste de Josip Broz-Tito depuis 1945, la Croatie se déclare comme une nation indépendante en 1991 dans un contexte de délitement de la Yougoslavie et des autres dictatures communistes est-européennes. La libéralisation de l’économie et la mise en place d’une démocratie représentative dans le pays s'accompagnent de l'intégration dans l’OTAN en 2009, de l’entrée dans l’Union européenne en 2013 et, plus récemment de l’adoption de l’Euro (€) comme monnaie le 1er janvier dernier. La multiplication des connexions avec les grandes puissances occidentales a transformé la Croatie, qui a développé une importante économie du tourisme représentant presque 20% de son Produit Intérieur Brut (PIB), le reste étant dominé par le secteur des services. Zagreb, mais surtout la côte méditerranéenne au sud-ouest, sont donc très prisés par les touristes européen.ne.s en quête d’une destination pour faire la fête . Dans l’histoire récente du pays, il faut également noter le séisme du 22 mars 2020 de magnitude 5,3 qui a dégradé de nombreuses habitations dans la région de Zagreb, nécessitant une dizaine de milliards d’euros d’investissement pour les réparations.
Du point de son système politique, la Croatie est une république parlementaire, constituée d’une seule chambre : le Hrvatski sabor (parlement croate). Le président de la République est élu au suffrage universel direct avec un mandat de 5 ans renouvelable qu’une fois (comme en France). Il n’a que peu de pouvoir comparé au Premier Ministre qu’il a la charge de désigner (en fonction du résultat des élections législatives) et qui doit diriger le vlada (gouvernement). Depuis 2016, le pays est gouverné par le Premier Ministre Andrej Plenković, ancien eurodéputé et issu du parti de droite conservatrice et nationaliste le HDZ : Hrvatska Demokratska Zajednica (Union Démocrate Croate).
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Premier Ministre croate, Andrej Plenković
UNE TERRAIN DE MOBILISATION CONTRE LA PRIVATISATION DE LA VILLE QUI RESSERRE LES LIENS ENTRE CITOYEN.NE.S
Comme nous l’évoquions dans la newsletter sur Budapest, les pays issus du bloc communiste d’Europe de l’Est partagent une certaine “culture du commun”, qui s’érode peu à peu des suites de la libéralisation de leur économie. Comme ses voisins Slovènes, Serbes ou Hongrois.e.s, la Croatie suit cette dynamique. Ainsi, à la fin des années 2000, plusieurs collectifs de citoyen.ne.s ont commencé à s’alarmer contre les privatisations de l’espace public et la destruction de la nature. De 2006 à 2010, les habitant.e.s de la capitale se mobilisent contre la construction d’une voie d’accès pour un garage privé dans la rue piétonne de Varšavske ulice au cœur de Zagreb, en manifestant et en occupant les lieux. Même si le projet parvient à son terme, ces années de mobilisation auront un impact durable sur les politiques publiques de la ville et la structuration des réseaux militants. Dans un contexte de mobilisations internationales contre les politiques néolibérales, consécutif à la crise économique de 2008 (Occupy Wall Street aux Etats-Unis, Mouvement des Indigné.e.s en Espagne), la Croatie connaît de grandes manifestations en 2012 contre la politique d’austérité du gouvernement en place dirigé par le social-démocrate Zoran Milanović (centre gauche).
ZAGREB JE NAŠ! ET LA CONQUETE DU POUVOIR
Créé en 2017, le mouvement Zagreb je NAŠ! (Zagreb est à nous) rassemble des militant.e.s pour le droit à la ville, des écologistes, des féministes dont une partie s’étaient impliqué.e.s dans des luttes contre la destruction des espaces publics. Influencé par le mouvement municipaliste de Barcelona en Comú (Barcelone en commun), le collectif se structure en groupes de quartier et comités locaux pour décentraliser le pouvoir et candidater aux élections municipales de 2017. La coalition avec quatre autres partis de gauche ou écologistes dont fait partie le mouvement, cumule 7,4% des voix et obtient 4 sièges au conseil municipal, dont un pour Zagreb je NAŠ!. Tomislav Tomašević, ex président de l’ONG Zelene Akcije (action verte) devient donc le premier élu du mouvement.
Deux ans plus tard, le parti national Možemo! (Nous pouvons!) est fondé principalement par des personnalités issues de Zagreb je NAŠ! en vue des élections européennes de 2019. Le score obtenu n’est pas suffisant pour obtenir des sièges au parlement européen, mais permet de populariser ce nouveau parti. Dans la stratégie électorale comme dans les idées, Možemo! puise une grande partie de son inspiration en Espagne avec le mouvement Podemos! (Nous pouvons !). Grâce notamment à l'organisation de l’université d’été de l’Institut d'Ecologie Politique (IPE) de Zagreb, Možemo! est en étroite relation avec d’autres mouvements des Balkans comme Ne davimo Beograd, que nous avons rencontré en Serbie ou United Reform Action (action réformiste unie) au Monténégro. En 2020, des élections législatives ont lieu en Croatie et le parti s'appuie sur sa base citoyenne pour enregistrer un score prometteur : il obtient 7% des votes et 7 sièges à l’Assemblée Nationale et se fait une place dans le paysage politique croate. Cette campagne est déterminante pour celle qui va suivre : les élections municipales de 2021.
Tomislav Tomašević
Entre temps, le parti s’est agrandi, il compte aujourd'hui plus de 300 adhérent.e.s directement impliqué.e.s à Zagreb et possède des antennes dans de nombreuses villes de provinces, s’appuyant le plus possible sur des citoyen.ne.s déjà mobilisé.e.s dans des luttes locales. En prenant en compte son agglomération, Zagreb est peuplée de 1,1 million d’habitant.e.s, soit plus d’un quart de la population croate. La ville a donc un poids politique majeur en Croatie. La municipalité se découpe en 19 arrondissements eux-mêmes divisés en circonscriptions. Il y a donc trois niveaux de représentation pour un total d’environ 500 élu.e.s locaux.les. En 2021, la campagne municipale est bouleversée par la mort subite du maire sortant Milan Bandić (qui était alors donné perdant dans les sondages). Ce dernier, au pouvoir depuis 21 ans pour le parti de droite conservatrice HDZ, était impliqué dans de multiples affaires de corruption et a même été incarcéré puis libéré sous caution en 2014. Le 30 mai 2021, Tomislav Tomašević et le parti Možemo! accèdent au pouvoir pour la première fois de leur histoire en remportant la majorité dans 18 des 19 arrondissements de la capitale soit un cumul de 62,25% des voix.
Ce fulgurant succès peut s’expliquer par différent facteurs :
-Le contexte politique favorable : D’une part, le décès brutal du maire sortant a surpris son parti, d’autant plus que le pouvoir était exercé de façon très verticale. D’autre part, le parti de gauche traditionnel, le Socijaldemokratska Partija Hrvatske, SDP (parti social démocrate de Croatie) était en plein délitement, également pour des affaires de corruption.
-Une conquête du pouvoir municipal faite “par le bas” par des militant.e.s de gauche et écologistes expérimenté.e.s et identifié.e.s dans la continuité des luttes pour le droit à la ville des dix dernières années.
-La rédaction d’un programme collaboratif, effectué par quelque 10 000 contributeur.rice.s et coordonné par 200 expert.e.s, c'est-à-dire des citoyen.ne.s spécialistes dans un domaine.
-Le dynamisme de la recherche et de la société civile, notamment incarné par l’Institut d’Ecologie Politique (IPE) de Zagreb, dont sont issu.e.s le maire et la vice-maire nouvellement élu.e.s. L’IPE documente des sujets comme les communs, le municipalisme, la décroissance ou encore la justice climatique et a activement contribué à construire le cadre idéologique du mouvement Zagreb Je Nas!.
Rencontre avec Vedran Horvat de L'IPE, le 20/06/23
MUNICIPALISME ET DECROISSANCE A L’EPREUVE DU POUVOIR : RETOUR SUR DEUX ANNEES DE MANDAT
C’est une réflexion propre aux initiatives citoyennes de ce type : Faut-il sortir de sa posture militante lorsqu’on est appelé à gouverner, au risque de perdre en radicalité ? Cette question s’était déjà posée en amont de la campagne municipale, quand le mouvement local Zagreb Je Nas! a accepté de se présenter aux couleurs du parti national Možemo!. Pour ses deux premières années de mandat, Tomašević et ses équipes assument de se dissocier de l’lPE dont iels sont issu.e.s pour faire oublier leur passé militant, gagner en crédibilité et appliquer une politique moins radicale que celle revendiquée par le passé. Leur stratégie, basée sur l’idée d’avoir “un pied en politique et un pied en dehors” est de donner la priorité aux services quotidiens de la mairie (déchets, éducation, transports en commun) avant de transformer l’institution plus en profondeur. Deux ans après leur élection, l’équipe municipale est très critiquée, par les citoyen.ne.s, les partis traditionnels et, dans une moindre mesure, par ses propres soutiens. Tout n’est pas perdu pour autant : dans sondage publié récemment, les citoyen.ne.s donnent plus de 50% d’opinion positive à l’action de la municipalité.
Il faut dire que dès sa prise de fonction, la nouvelle équipe a dû composer avec l’état désastreux des finances de la ville et tout faire pour éviter la faillite. L’une des premières mesures prises par Tomašević a été de mettre un terme à la politique de natalité mise en place par le maire précédent. En effet, face à l’importante crise démographique que connaît le pays, la municipalité avait lancé un programme d’aide financière aux familles nombreuses. Ces dernières pouvaient recevoir 600€ par mois, afin qu’un des deux parents puisse garder les enfants à la maison. En plus d’être sexiste (la femme du couple reste à la maison dans l’extrême majorité des cas), cette mesure pesait lourd dans le budget municipal et risquait de couper les enfants d’une socialisation avec les autres enfants. Bien que prioritaire aux yeux de la nouvelle mairie, le détricotage de cette mesure s’éternise ; en plus du casse-tête législatif, la municipalité ne dispose pas de capacité d'accueil suffisante en crèche ou en maternelle.
Autre mesure difficile, la municipalité a lancé un nouveau mode de ramassage des déchets, inspiré de celui de Bruxelles. Ce système consiste à acheter des sacs poubelles certifiés par la mairie dans des bureaux de tabac (à un prix un peu plus cher que celui de leur coût de production, pour que cela paie le service). L’idée est que les sacs dédiés au tri (papier, plastique, etc…) soient moins chers que les sacs “tout venant” pour inciter les Zagrebois.e.s à trier. L’autre bénéfice de cette réforme est la disparition des bacs de poubelles de la vue des citoyen.ne.s, les sacs étant directement posés dans la rue en fonction des horaires de passage des éboueur.se.s. Cette mesure, qui doit améliorer l’esthétique de la ville, contribuer à la justice sociale (les plus gros.se.s producteur.rice.s de déchets sont celleux qui payent plus) et inciter au recyclage des déchets, a été mise en place avec difficulté. En cause : des problèmes de communication et de sensibilisation des citoyen.ne.s, une certaine réticence au changement de ces dernier.ère.s, mais aussi la corruption et l’inertie des services municipaux hérités de la gestion de l’ancien maire.
Dans un bras de fer similaire à celui engagé par Viktor Orbán en Hongrie avec le maire de Budapest, le Premier Ministre Croate a gelé les aides de l'État nécessaires pour réaliser les travaux de réparation des dégâts du tremblement de terre de 2020. Cette stratégie contraint Tomislav Tomašević à se montrer modéré dans ses critiques vis-à-vis du gouvernement national et cette attitude est critiquée par une partie de ses soutiens. Parmi elleux, iels sont nombreux.se.s à regretter le manque de radicalité du maire, notamment au sein de l’Institut d’Écologie Politique (IPE) qui ne manque vraisemblablement pas d’idées pour développer la démocratie radicale ou les communs dans la ville. La Conférence internationale de la Décroissance qui aura lieu du 29 août au 2 septembre prochain sera justement organisée par l’IPE à Zagreb et constitue une opportunité pour l’équipe municipale. Elle peut être une occasion de choisir d'afficher son soutien au mouvement radical, et de renouer avec ses racines militantes et ses prises de position passées.
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Pour aller plus loin :
Sur les mobilisations de 2010
- article : Croatians stage first protest against austerity drive, Reuters (EN)
- article : Anti-Government Protests in Croatia: Changing Politics, The Bullet (EN)
Sur Zagreb Je Nas! et le parti Možemo!
- article : En Croatie, un militant écologiste élu maire de Zagreb, La Croix (FR)
- article : One Year On, Is Zagreb Ours?, Left East (EN)