
Malmö
Climate Change,
Commons and Radical
Democracy in
Bonjour à tous et toutes,
Du 26 mai au 1er juin, nous nous sommes rendu.e.s à Malmö, au sud de la Suède. Ces trois jours nous ont permis de nous interroger sur cette ville, souvent exhibée comme modèle de réussite de la transition écologique et sociale.
MALMÖ EN SUEDE : UNE “VILLE DURABLE” MODELE ?

La reconversion d’une ancienne ville portuaire industrielle
Avec ses plus de 300 000 habitant.e.s, Malmö est la troisième plus grande ville du pays et est aujourd’hui considérée comme l’une des villes les plus vertes d’Europe.
Avec une économie basée sur le commerce du hareng salé au XIVe siècle, le ville est devenue un port industriel important au XXe siècle grâce à ses chantiers navals, ses usines de béton et son industrie textile. Seulement, la crise pétrolière des années 1970, le contexte de récession des années 1990, et la tentative ratée d’installation de l’usine automobile Saab en 1989 (qui fermera ses portes deux ans plus tard), impactent durement le tissu économique local. Au début des années 1990, le taux de chômage atteint les 12,4%, obligeant la ville à changer radicalement de cap.
Ainsi, en 1995 et 1999, le pont ferroviaire et le tunnel de l'Øresund reliant Malmö à Copenhague, sont construits. Cette nouvelle liaison relance l'économie en attirant à la fois des touristes et des entreprises initialement localisées dans la capitale danoise.
En 1998, la ville continue sa reconversion en construisant l’Université de Malmö (Malmö universitet) sur une partie de l’ancien chantier naval. Le campus accueille aujourd’hui 24 000 étudiant.e.s, qui, cumulés aux 40.000 étudiant.e.s de l’université voisine de Lund (à 16 km) rendent cette zone très dynamique académiquement.
Malmö fait également le pari de la “ville durable”. La Suède est connue pour ses “Koloniträdgårdar” (jardins de famille) qui permettaient dès le XIXe siècle aux citadin.ne.s vivant dans des appartements d’avoir une petite parcelle de terre. Grâce à ce système, les habitant.e.s pouvaient cultiver leurs propres fruits et légumes afin de réduire leurs dépenses alimentaires. Ce système s’est avéré notamment très utile lors des deux guerres mondiales en garantissant une alimentation pour de nombreuses familles.
Si ces jardins existent toujours en Suède et à Malmö, la ville a souhaité aller plus loin pour continuer à transformer son image de ville industrielle. Dans le cadre d’une exposition consacrée à la ville du futur, “2001 European Exhibition”, l’urbanisme Klas Tham avec les services municipaux transforment les anciens docks pollués en un écoquartier nommé “Bo01”. Aussi connu sous le nom de “Ville de Demain”, cet écoquartier est le premier au monde à être totalement alimenté en énergies renouvelables. Les usines désaffectées, les hangars et les espaces industriels laissent leur place à 1300 logements, des postes de travail, des pistes cyclables, un système de collecte d’eaux pluviales, des espaces verts (également sur les toits), un gratte-ciel moderne (le Turning Torso), des panneaux solaires, un système de tri sélectif qui permet de produire du gaz naturel à partir des déchets organiques des ménages, etc... Ce projet est le premier d’une vaste opération de réhabilitation des 140 hectares du quartier de Västra Hamnen, situé sur la partie ouest de l’ancien port industriel et attire une attention toute nouvelle sur la ville qui devient un modèle de “ville durable” en Europe.
D’autres écoquartiers voient le jour à Malmö, comme l’éco-cité Ekostaden Augustenborg du quartier populaire d’Augustenborg qui a développé un grand programme de rénovation urbaine intitulé Ekostaden (“éco-voisinage”) avec la participation des habitant.e.s et des acteur.rice.s du secteur public et privé.
Puis, en 2015, Malmö est la première ville suédoise à s'engager à respecter les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies et ambitionne d’être neutre en carbone dès 2030 (soit 20 ans plus tôt que prévu par les engagements européens pour respecter l’Accord de Paris). La ville compte plus de 400 kilomètres de pistes cyclables et possède la plus grande usine de biogaz d'Europe, recyclant la plupart des déchets solides pour les transformer en carburant pour les bus et les voitures.
Les limites des politiques écologiques et sociales à Malmö
Malgré cette réputation de “ville verte”, Malmö est l'une des villes les plus pauvres de Suède et est marquée par d’importantes inégalités sociales. Sa localisation au Sud de la Suède en fait la porte d’entrée de l’immigration en Suède (vagues de migration des années 1990 et 2000, de Yougoslaves, de Soudanais.e.s et d’Irakien.ne, et plus récemment de Syrien.ne.s, ou d’Ukrain.en.s). Environ 30% de sa population est musulmane. Toutefois, depuis quelques années, la Suède repense drastiquement sa politique d'asile. L’arrivée au pouvoir en septembre 2022 du centre-droit (Les Modérés, les Libéraux, les Chrétiens Démocrates) soutenu par le parti d’extrême droite fondé par des néonazis en 1988, les Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD), a radicalement transformé l’image de terre d’accueil du pays. Le conseil municipal de Malmö (Kommunfullmäktige) était historiquement dirigée par le parti de gauche social-démocrate, Parti social-démocrate suédois des travailleur.se.s (Socialdemokratiska Arbetarepartiet, SAP), et est aujourd'hui entre les mains d’une coalition SAP/Libéraux. Lors des élections de 2022, l'extrême droite obtient (10 des 61 sièges) incitant la municipalité à appliquer une politique migratoire de plus en plus restrictive.
En matière climatique, Malmö reste une ville située dans un pays riche dont l'empreinte carbone par habitant.e est de 9 tonnes de CO2-équivalent, soit bien loin de l’objectif de 2 tonnes nécessaires pour respecter l’Accord de Paris...
En termes de relation à l'institution publique, les Suédois.e.s conservent une grande confiance dans leur gouvernement, comme en témoigne le faible taux d'abstention aux dernières élections législatives (moins de 16%, contre 28% par exemple lors du deuxième tour de la dernière élection présidentielle en France). Ce contexte de démocratie représentative fonctionnelle complique l’émergence des courants de pensée radicaux sur les questions écologiques, sociales et démocratiques dans un pays où les électeur.rice.s ont un haut niveau de vie, et où les tranches les plus pauvres de la population sont invisibilisées.
Lors de notre passage à Malmö, nous avons pu rencontrer plusieurs collectifs militants pour une société radicalement plus écologique sociale et démocratique.
Pour aller plus loin :
-Des inégalités croissantes en Suède…Fabrice Perrin, Dans Regards 2014/1 (N° 45), pages 109 à 116 (FR)
-Montée de l’extrême-droite en Suède : « Il est difficile de faire sans un parti qui fait 20 % » (FR)
-Législatives en Suède : comment l'extrême droite s'est rapprochée du pouvoir après une percée historique dans les urnes (FR)
ALLT ÅT ALLA : DES CAMPAGNES PLURIELLES POUR UNE TRANSFORMATION RADICALE DE LA SOCIETE
Présentation d’Allt åt alla
Né en 2009 des mouvements de la gauche radicale extra-parlementaire et antifascistes, le collectif Allt åt alla est membre du Réseau Municipaliste Européen (European Municipalist Network) et se définit comme une “union sociale”. A la différence d’un syndicat, l’union ne s’organise pas autour du lieu de travail mais autour de tous les aspects de la vie quotidienne, sans toutefois se définir comme parti. Le collectif est aujourd’hui présent dans les quatre plus grandes villes suédoises : Malmö, Göteborg, Stockholm, Uppsala.
Les campagnes menées par chaque groupe local suivent les principes suivant :
-La curiosité : avoir une approche investigatrice et curieuse pour comprendre, tester et résoudre des problèmes concrets.
-Les réformes antagonistes : formuler des revendications politiques pour changer fondamentalement la société.
-L'intervention : agir directement auprès de la société pour mettre en place des solutions concrètes aux problèmes.
-L'activation des masses : activer les gens en grand nombre pour les rendre acteur.rice.s du changement et transformer la société par l’action collective.
Né d’initiatives locales, le mouvement tente aujourd’hui de se structurer à l’échelle nationale pour gagner en puissance et donner un cadre aux 200 personnes qui le composent. Un bureau national a notamment été officiellement créé il y a deux ans. Il se charge des aspects administratifs et des décisions pratiques. Toutefois, les décisions stratégiques restent prises à l’échelle du groupe local, pour ne pas rompre avec l'identité du mouvement.
L’histoire d’Allt åt alla Malmö
A Malmö, l’histoire d’Allt åt alla commence en 2009, à la suite de la vague de privation du parc immobilier qui entraîne un mouvement d’occupations illégales de logements. Allt åt alla apporte alors son soutien au mouvement de contestations en revendiquant un droit à la ville et aux logements pour tous.tes les citoyen.ne.s.
Puis, face à la montée de l'extrême droite dans la ville et le pays, le collectif rejoint des manifestations contre le parti d’extrême droite SD (Sverigedemokraterna qui signifie “Démocrates Suédois”). La question migratoire devient une nouvelle revendication du collectif. Allt åt alla Malmö aide notamment à la mise en place et à la gestion d’un camp d’accueil pour les réfugié.e.s d’Europe de l’Est expulsé en 2015. Situé au milieu de la ville, ce camp de 200 personnes a permis de mettre en lumière les manquements et les carences de l’Etat en matière d’accueil des réfugié.e.s, ainsi que l’accroissement des inégalités dû à la gentrification dans le centre-ville.
Les campagnes d’Allt åt alla Malmö
Aujourd’hui Allt åt alla Malmö est composée d’une soixantaine de personnes qui soutiennent différentes campagnes :
-Les numéros du magazine SVARM et la Radio pour tous.tes qui traitent de différents thèmes : communs, écologie, démocratie, féminisme, etc.
-Les projets de centres sociaux dans les quartiers les plus modestes de la ville.
-La campagne contre l'enseigne de supermarchés suédoise ICA, dont une dizaine de cadres sont soupçonné.e.s d'avoir profité de leur position pour spéculer sur les actions de l’entreprise en autonome 2021.
-La campagne pour empêcher l’augmentation des prix des loyers à hauteur de 30% à 60% dans la ville.
-La participation au Nordic Labor Film Festival en novembre 2023.
-Le soutien à la révolution au Rojava en lien avec le collectif Rojavakommittéerna.
-La participation à des manifestations, comme le 1er juin dernier à Stockholm, contre l’entrée de la Suède dans l’OTAN et contre les pressions du président turc Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier bloque l’entrée de la Suède dans l’organisation pour ses politiques qu'il juge trop “laxistes” envers les militant.e.s pro-kurdes considéré.e.s comme des terroristes en Turquie. Ces pressions ont abouti à une nouvelle loi du Parlement suédois interdisant les activités liées à des groupes extrémistes et contre laquelle les militant.e.s s’opposent.
DEMOCRATIC TRANSITION (DEMOKRATISK OMSTÄLLNING) : CHANGER RADICALEMENT DE SYSTEME EN IMPULSANT UN MOUVEMENT DEMOCRATISATION PAR LE BAS
Présentation et vision
Democratic Transition (Demokratisk Omställning) est une organisation suédoise située dans plusieurs villes du pays, dont Malmö. Son but est d’impulser un changement radical dans la société en multipliant les outils et initiatives de démocratie participative à l'échelle locale pour permettre aux citoyen.ne.s de se réapproprier le pouvoir politique. Pour ce faire, les sociétés doivent relever aujourd’hui cinq défis :
-Respecter les limites planétaires et mettre un terme à l’exploitation prédatrice des ressources naturelles. Crise écologique et sociale étant liées, cette révolution écologique ne peut advenir que si les ressources et les pouvoirs sont redistribué.e.s démocratiquement pour que tous.tes puissent en jouir.
-Transformer les processus d’élaboration des politiques publiques en laissant une large place à la démocratie directe et participative. Dans une société démocratique, les citoyen.ne.s directement concerné.e.s par les décisions doivent être parties prenantes des discussions.
-Décentraliser nos systèmes de prise de décision pour qu’elles soient prises au plus près des personnes concernées. Le modèle du confédéralisme* peut par exemple constituer une alternative intéressante.
-Instaurer une société égalitaire, féministe, antiraciste et antifasciste luttant pour l'égalité et la liberté pour tous.tes. Le concept d’intersectionnalité permet notamment de mettre en lumière les interactions entre les dynamiques de discrimination et d’oppression qui se créent et se maintiennent entre elles : race/ethnicité, sexe/genre, classe, âge, sexualité, religion.
-Faire émerger une économie solidaire, implantée localement pour sortir du paradigme productiviste et inégalitaire sur lequel repose notre économie, assurant ainsi une plus grande autonomie et résilience des territoires.
*LE CONFEDERALISME :
Inspiré du “municipalisme libertaire” de Murray Bookchin, les confédérations sont des réseaux de communautés locales dont le pouvoir appartient aux citoyen.ne.s. A l’échelle d’une confédération, la politique est élaborée au niveau local, tandis que l'administration et la coordination sont assurées par des délégué.e.s élu.e.s, mandaté.e.s et révocables dans les assemblées du conseil. Des organismes confédéraux peuvent également exister à l'échelle régionale, nationale et européenne pour prendre des décisions sur des sujets nécessitant un changement d‘échelle : infrastructures de transports, système de santé/de retraite, éducation, justice, etc. Le système politique mis en place au Rojava (Kurdistan syrien) en 2014 s’inspire notamment de ce modèle.
Activités concrètes à Malmö
Si le groupe local de Democratic Transition à Malmö est assez récent, ses six membres actif.ve.s mettent en place différents projets pour impulser des transformations par le bas.
L’année dernière, iels ont aidé à la traduction du Guide du municipalisme (2018) en suédois. Écrit dans la continuité du rassemblement des villes sans peur “Fearless cities”, ce livre est rédigé par plus de 140 personnes issu.e.s de 19 pays différents. Pensé comme une boîte à outils, il recense les bonnes pratiques pour mettre en place une plateforme municipaliste, rédiger un manifeste participatif, obtenir des financements, et gagner les élections locales. Cette traduction a donné lieu cette année à la création de “cercles d’études” ouverts à tous.tes à Malmö pour lire et discuter du livre. L’idée est ensuite, à l’automne prochain, de réaliser un tour en Suède pour discuter dans les villes du livre traduit.
Ces ateliers ont pour but de participer à la diffusion de la culture du municipalisme et de la démocratie radicale auprès des habitant.e.s de Malmö et en Suède.
Cette année, iels souhaitent également mettre en pratique leurs connaissances en écrivant des propositions politiques pour les prochaines élections municipales en 2026.
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