
Florence
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Bonjour tout le monde !
En ce 1er mai, jour de mobilisation, voici des nouvelles de notre passage à Florence. On vous raconte l’histoire de deux initiatives : Mondeggi Bene Comune et l’usine Ex-GKN.
LA LUTTE DE MONDEGGI BENE COMUNE POUR ÊTRE RECONNUE COMME UN BIEN COMMUN
Ancrée sur le territoire de la province de Florence, la communauté Mondeggi Bene Commune expérimente depuis une dizaine d’années une autre façon de produire et de vivre ensemble en mettant le vivant, la solidarité, l’autodétermination et la démocratie radicale au centre de son projet.
Comment est née Mondeggi Bene Comune ?
Image : Blog de Mondeggi Bene Comune
Les premières réflexions autour de la récupération des terres de Mondeggi ont émergé en 2013 au sein du réseau italien Terra Bene Comune, lié au mouvement paysan Genuino Clandestino, dans un contexte de privatisation des biens publics.
Situé dans la ville de Bagno di Rapoli, à 12 km au sud-est de Florence, Mondeggi est un domaine agricole public de 200 hectares, laissé à l’abandon depuis 2008. En 2014, la province de Florence et la commune de Bagno di Ripoli ont réaffirmé leur volonté de privatiser les terres. L’argument principal justifiant cette vente était le remboursement de la dette de près d’un million d’euros accumulée lors de la faillite de l’entreprise agricole publique 6 ans plus tôt.
En relançant des activités agricoles respectueuses du vivant et en occupant les lieux, une cinquantaine de citoyen.ne.s s’est opposée à cette privatisation et a revendiqué un accès à la terre pour tous et toutes.
Mondeggi Bene Comune s’est constituée pour défendre la réappropriation de terres agricoles publiques pour un usage collectif et citoyen en auto-gestion. Elle rassemble aujourd’hui près de 300 personnes autour d’évènements culturels et d’activités agricoles comme le maraîchage, la viticulture, l’oléiculture, la boulangerie, la brasserie. Mondeggi participe à plusieurs marchés sur le territoire ainsi qu'à des cantines populaires comme celle de l’Ex-GKN (l’ancienne usine occupée de Campi Bisenzio) en soutien aux ouvrier.ère.s mobilisé.e.s (cf plus bas).
Bien que le dialogue avec la mairie ait été très conflictuel, la communauté a pu rester sur le site. Elle n’a cependant jamais été légalisée. Certains membres rejettent toute collaboration avec les institutions publiques et refusent de se constituer en association comme le demande la mairie. Toutefois, la légitimité gagnée auprès de la population et des acteur.rice.s du territoire a permis le maintien d’un rapport de force avec la mairie, préservant la communauté de l’expulsion.
2023 : une année charnière
Dans un contexte de relance économique post-covid, l’Union Européenne finance des plans nationaux de relance et de résilience (PNRR) s’articulant autour de trois grandes priorités : l’écologie, la compétitivité et la cohésion sociale et territoriale.
La commune de Florence, propriétaire des lieux, pourrait ainsi bénéficier de 52 millions d’euros afin de réaliser des travaux, à condition de respecter certains critères écologiques et sociaux. Le chantier permettrait la réhabilitation des bâtiments et une meilleure gestion de l’eau, la région Toscane étant très sujette aux sécheresses. Un dilemme se présente alors à la communauté : passer un accord avec la métropole de Florence ou prendre le risque d’être expulsée.
Après plusieurs mois de discussions, la communauté de Mondeggi a finalement fait le choix de se constituer en association et d’accepter une co-construction du projet avec la mairie. Cette décision, prise collectivement, a provoqué le départ d’une dizaine d’habitant.e.s, opposée à toute forme de collaboration avec les institutions publiques.
Vers la reconnaissance de Mondeggi Bene Comune comme un bien commun par la ville ?
Lors de notre passage, nous avons pu assister à une assemblée, première étape d’un long processus de restructuration de l’organisation interne et de la gouvernance de la communauté. Ces modalités sont nécessaires pour la rédaction d’un contrat avec la métropole, prévue pour fin mai.
Tout l’enjeu pour la communauté est d’être réellement impliquée dans l’élaboration des travaux, qui devraient débuter en novembre 2023, et de pouvoir maintenir ses activités pendant les 3 années de chantier.
Avec ce contrat, la communauté de Mondeggi Bene Comune espère être enfin reconnue juridiquement comme un bien commun.
Pour aller plus loin :
LES OUVRIER.ERE.S DE L'USINE GKN : DE LA LUTTE LOCALE A LA MOBILISATION NATIONALE, UN EXEMPLE DE CONVERGENCE DES LUTTES
Située en périphérie de Florence à Campi Bisenzio, l'usine Ex-GKN est occupée par les ouvrier.ère.s depuis bientôt deux ans. Initiée en réaction à un licenciement massif et illégal de l'ensemble des salarié.e.s au lendemain de la crise du Covid, cette mobilisation fait figure d'exemple en termes de convergence des luttes et de passage à l'échelle d'une initiative implantée localement.
Le “Collettivo di Fabbrica della GKN” – © Andrea Sawyerr
L’usine GKN : nouvelle victime de la désindustrialisation
En 1994, la multinationale britannique GKN rachète l’usine Fiat, et se spécialise dans la production d'arbres d’essieux pour différentes marques automobiles comme Stellantis, Fiat ou encore Ferrari. En 2018, le groupe GKN Automotive est acquis par le fonds d’investissement britannique Melrose qui envisage de se séparer d’une partie des actif.ve.s de l’entreprise.
Lorsque nous nous rendons sur place, l’ancienne usine est occupée par les ouvrier.ère.s depuis 1 an et demi, alors qu’iels ne sont plus payé.e.s depuis 7 mois. Leur licenciement , le 9 juillet 2021, n’est pas un cas isolé, il advient dans un contexte de délocalisation et d’automatisation croissante des moyens de production. En effet, comme partout en Europe de l'Ouest, l'Italie connaît une désindustrialisation continue depuis les années 1970.
Une mobilisation qui fait converger les luttes et dépasse l’échelle de l’usine
© Margherita Capprili
Le 9 juillet 2021, les 500 ouvrier.ère.s reçoivent un mail annonçant leur licenciement immédiat et la fermeture sans raison économique particulière. Seulement une heure après l’annonce, les ouvrier.ère.s commencent à occuper l’usine et forment une assemblée permanente pour s’organiser.
Iels sont rapidement rejoint.e.s par d’autres acteur.rice.s locaux.les et nationaux.les comme le syndicat Fiom-CGIL (équivalent de la CGT en France), Fridays for Future, et des mouvements étudiant.e.s tels que "Studenti di sinistra" (“étudiant.e.s de gauche”) à Florence. Un groupe de solidarité “Insorgiamo con i lavoratori GKN” (Insurgeons nous avec les travailleur.se.s de GKN) est créé pour soutenir et visibiliser la lutte. Plusieurs autres actions sont ensuite mises en place : grève, conférences, concerts et manifestations. La plus importante manifestation a mobilisé 40 000 personnes dans les rues de Florence le 18 septembre 2021, ce qui en fait une des plus suivies dans la capitale toscane depuis le Forum social de 2002 succédant au G8 à Gênes.
Dans un premier temps, la lutte des ouvrier.ère.s et sympathisant.e.s visait à dénoncer l’illégitimité et le caractère antisyndical du licenciement qui ne respecte pas le processus d’information et de consultation. Un recours, déposé auprès du Tribunal du travail de Florence, a d'ailleurs permis de retarder le licenciement de 3 mois.
La lutte ne se limite cependant pas à la seule échelle de l’usine. Les ouvrier.ère.s ont notamment participé à la grève générale interprofessionnelle du 16 décembre 2021 et à l’introduction d’un amendement « anti-délocalisation » voté dans la loi de finances 2022 (amendement qui permet finalement de réguler les délocalisations et non de les prévenir réellement).
Ainsi, le mouvement autour de l’Ex-GKN permet d’interpeller plus largement les institutions locales et le gouvernement sur le démantèlement de l'industrie Italienne et sur les conséquences délétères d'une économie dérégulée sur les citoyen.ne.s.
Une culture de l'auto-organisation bien ancrée parmi les ouvrier.ère.s de l’usine
En 2007, un collectif rassemblant les ouvrier.ère.s de l’usine “Collettivo di Fabbrica” est créé pour renforcer la participation des travailleur.se.s au processus de décision syndicale. Il s'oppose notamment au travail des ouvriers.ère.s les week-ends, à l’automatisation du secteur et au déploiement d'outils digitaux de contrôle des performances des ouvrier.ère.s.
Cette implication ancienne des travailleur.euse.s dans la vie de l’usine est à la base de la très forte capacité d’auto-organisation et d’autogestion des ouvrier.ère.s dès leur licenciement : organisation de la cantine, du nettoyage du lieu, mise en place d’une assemblée permanente, constitution de trois équipes de gardes quotidiennes, communication, etc.
La reconversion de l’usine automobile en une coopérative de panneaux photovoltaïques
En 2021, l'usine est rachetée par un investisseur, Francesco Borgomeo, censé dévoiler un plan de reconversion du site. Ce plan n'ayant jamais été présenté, le Collectif de l’usine GKN a décidé de proposer son propre « Plan d’entreprise pour la continuité de l’emploi ». Ce dernier a été co-écrit avec l’aide d’universitaires de la région (ingénieur.e.s, juristes, économistes, historien.ne.s, sociologues) et présenté officiellement en mars 2022.
Aujourd’hui, l'objectif pour les ouvrier.ère.s est de se constituer en coopérative pour fabriquer des panneaux photovoltaïques et des batteries électriques. Le procédé a été breveté par la start up milanaise Semperampere, et consiste à utiliser une pâte sans lithium, silicium, cobalt, terre rares ou autres métaux lourds. Lors de notre visite sur place le 15 avril, les ouvrier.ère. étaient réuni.e.s pour discuter de l'avenir industriel de l’usine.
Pour permettre la création de la coopérative, un crowdfunding a été créé. Si vous voulez contribuer financièrement à la lutte, le lien est ici. De nombreuses projections du film “E tu come Stai?” ("Et toi, comment tu vas ?") qui retrace l’histoire de la mobilisation, sont organisées dans toute l’Europe pour récolter de l’argent et soutenir la mobilisation.
En attendant, les prochaines échéances pour la mobilisation sont les suivantes :
-La Legacoop (fédération des coopératives italiennes) doit étudier le projet de la coopérative d’Ex-GKN et décider de son intégration ou non au sein de la fédération.
-Le CNR (équivalent italien du CNRS) doit, quant à lui, valider la faisabilité technique du projet (porté par la start up Semperampere).