
Démocratie Energétique
Climate Change,
Commons and Radical
Democracy
En plus d’être au cœur notre quotidien, l’énergie occupe une place centrale dans le l’organisation politique des pays occidentaux. Pour des raisons géo-stratégiques, les politiques énergétiques sont souvent décidées à l’échelle nationale voire européenne, ce qui pose des problèmes d’acceptabilité et d’implantation locales. Au cours de ces derniers mois en Europe nous avons pu explorer la notion de “Démocratie Énergétique” et voir comment les citoyen.ne.s peuvent prendre le pouvoir sur cette question fondamentale dans trois villes d’Europe : Hambourg, Berlin et Bruxelles.

DANS UN CONTEXTE DE TRANSITION : “LA DEMOCRATIE ENERGETIQUE” COMME SOLUTION POUR DEPASSER LES LIMITES D’UNE GOUVERNANCE ENERGETIQUE CENTRALISEE ET LIBERALISEE
Une grande partie des démocraties occidentales ont entamé leur transition énergétique bien que celle-ci se heurte à deux problématiques majeures.
D’une part, le déploiement des Énergies Renouvelables (EnR) sur le territoire suscite de nombreuses oppositions et accroît le clivage ville-campagne.
D’autre part, la nécessaire “sobriété” (soit la réduction drastique de notre consommation) demande un changement radical de paradigme économique (vers la décroissance) qui semble encore loin de faire consensus parmi les décideur.se.s.
Mais a quoi sont dus ces blocages ?
D’un point de vue technique d’abord, la déconnexion entre consommateur.rice.s et producteur.rice.s est particulièrement élevée pour des énergies comme le gaz ou le pétrole. Les citoyen.ne.s européen.ne.s sont ultra-dépendant.e.s d’une énergie abondante, bon marché et importée (pétrole du Moyen-Orient par exemple) dont iels ne perçoivent pas les effets négatifs au quotidien. Leurs habitudes de consommation, pourtant récentes, sont profondément ancrées. En ce qui concerne l'électricité, la filière qui illustre le plus ce décalage est le nucléaire civil. La construction de quelques centrales nucléaires approvisionnant l’ensemble d’un pays contribue à invisibiliser le fait que tous les moyens de production d’énergie ont un impact sur leur environnement. Le changement radical d'habitudes que le maillage du territoire par de nouvelles sources de production d’énergie renouvelables constitue ainsi un important défi culturel. L’opposition grandissante aux EnR sur le territoire en est la preuve : les citoyen.ne.s des pays occidentaux se sont habitué.e.s à bénéficier des avantages d’une énergie abondante, au point de ne plus accepter d’en vivre les impacts négatifs.
D’un point de vue politique, si on regarde quelques décennies en arrière, une autre cause à l’origine de ces blocages peut être abordée : l’hyper-centralisation des décisions sur les questions énergétiques. L’énergie représentant un enjeu de pouvoir majeur, sa gouvernance s’est toujours faite à l’échelle nationale, voire européenne, historiquement pour les énergies conventionnelles (charbon, gaz ou nucléaire) et plus récemment pour les énergies renouvelables (éolien terrestre ou maritime, solaire, etc.). Une gouvernance centralisée pourrait être considérée comme un avantage à l’heure de la planification écologique mais elle questionne la dimension démocratique des décisions et creuse l’écart existant entre les décideur.se.s et les citoyen.ne.s et diminue l’autonomie (et la liberté ?) de ces dernier.ère.s.
Enfin, d’un point de vue plus économique, on peut considérer que les blocages actuels sont en partie hérités de la libéralisation du secteur de l’énergie mise en place par l'Union européenne à partir de la fin des années 1990. L’ouverture du secteur à la concurrence rend plus difficile la planification et réduit le pouvoir des États, ce qui ralentit considérablement la transition énergétique (pourtant urgente). Il y a une forte inégalité entre vendeur.se.s et acheteur.se.s Dans la filière éolienne terrestre par exemple, les citoyen.ne.s habitant à proximité d’un parc éolien perçoivent quotidiennement l’impact sur l’environnement généralement sans en percevoir aucun profit, celui-ci étant capté par l’entreprise porteuse du projet, dont le siège est probablement situé dans un grande ville européenne.
C’est dans ce contexte qu'intervient le concept de “démocratie énergétique” (energy democracy en anglais). L’idée est de dépasser les blocages évoqués en réinventant un système de gouvernance énergétique décentralisé, où les citoyen.ne.s occupent une place centrale. L’implication des citoyen.ne.s semble essentielle pour traiter la problématique de justice sociale et d’acceptabilité dans la mise en œuvre de la transition énergétique.
Fortement influencés par les mouvements municipalistes, coopérativistes ou des “communs”, les acteur.rice.s de la démocratie énergétique sont nombreux.ses et complémentaires. Lors de notre tour d’Europe, nous en avons rencontré.e.s quelques un.e.s :
-Certain.e.s militent pour la remunicipalisation (le retour dans la sphère publique) des réseaux de distribution d’énergie comme à Hambourg avec le projet “Unser Hamburg unser Netz” (Notre Hambourg, notre réseau).
-D’autres s’associent sous la forme de coopératives pour lancer des projets d’énergie citoyennes comme à Berlin avec “BürgerEnergie Berlin” (Energie citoyenne Berlin)
-Enfin, plusieurs acteur.rice.s agissent à Bruxelles pour influencer les politiques européennes comme les organisation EnergyCities ou encore REScoop.
LES CITOYEN.NE.S : ACTEUR.RICES CENTRAUX.LES MAIS OUBLIE.E.S DANS LES POLITIQUES ENERGETIQUES
RETOUR SUR L’ORGANISATION DU MARCHE DE L’ELECTRICITE EN EUROPE
Dans presque tous les pays membres de l’Union européenne, le secteur de l’énergie, et en particulier l’électricité et le gaz, étaient gérés à 100% par les institutions publiques. À partir de 1996, l’Union européenne a fait évoluer le fonctionnement du secteur, pour en faire un marché interne, intégré et unique dans le but de réduire les coûts et d’améliorer la sécurité d’approvisionnement.
Ainsi, pour comprendre à quel maillon de la chaîne la notion de “démocratie énergétique” peut s’appliquer, il est essentiel de rappeler comment le secteur de l’électricité est actuellement découpé en Europe :
⚡ La production : Elle peut prendre la forme de barrages hydroélectriques, de centrales nucléaires, à gaz ou à charbon ou encore de parcs d’énergies renouvelables. Cette activité est ouverte à la concurrence.
🚋 Le transport : Il consiste à transporter l’électricité sur des grandes distances. Ces lignes à haute tension sont pour l’électricité l’équivalent de ce que les autoroutes sont pour le réseau routier. Ce secteur est considéré comme un monopole naturel, il est administré par une entreprise publique dans la plupart des pays.
🔋La distribution : Pour acheminer l’électricité dans chaque habitation, les villes sont équipées d’un réseau de distribution connecté aux lignes de transport. C’est l’équivalent des routes départementales pour le réseau routier. Comme pour le transport, les réseaux de distribution sont des monopoles naturels et sont la propriété des institutions publiques.
💰La fourniture : Dernier élément de la chaîne, on appelle fourniture l’achat/vente entre le.a consommateur.rice et le.a fournisseur.se. Ce.tte dernier.ère peut-être ellui-même producteur.rice, ou peut s’approvisionner en achetant son électricité à un.e producteur.rice tiers. Cette activité est ouverte à la concurrence.
Levier n°1 Faire sortir l’énergie du marché : la remunicipalisation, une reprise de pouvoir à l’échelle locale
L’un des leviers permettant une reprise de pouvoir à l’échelle locale est donc le suivant : remunicipaliser la gestion de l’énergie. Cela signifie faire revenir dans la sphère publique locale, c'est-à-dire dans le giron de la municipalité, des activités qui étaient gérées à l’échelle nationale ou qui avaient été ouvertes aux acteur.rice.s privé.e.s. Ce levier d’action s’applique particulièrement aux domaines de la production ou de la distribution et permet aux élu.e.s de prendre des décisions éclairées au regard de tous les facteurs (économiques, sociaux et surtout écologiques) contrairement au fonctionnement d’une entreprise privée qui est, par essence, principalement motivée par le profit. En Allemagne par exemple, les réseaux de distribution appartiennent aux régions (les Landër) et sont exploités par des acteur.rice.s privé.e.s sous la forme de concessions d’une durée 10 à 20 ans. Après avoir été mise en concurrence avec d’autres entreprises, une entreprise privée est donc désignée pour administrer le réseau : les décisions stratégiques de développement du réseau (qui peut avoir un impact sur la faisabilité de projets d’EnR dans la ville) lui reviennent, tout comme les profits générés par cette activité.
L'exemple de Hambourg et l’initiative “Unser Hamburg unser Netz” (Notre Hambourg, notre réseau)
À Hambourg, l’entreprise Vattenfall (propriété de l'État suédois) qui était chargée de l'exploitation des infrastructures de distribution d'électricité (qui sont la propriété de la cité-état de Hambourg) jusqu’en 2013 a été mise en difficulté par une initiative citoyenne de référendum local : “Unser Hamburg unser Netz” . Cet outil démocratique particulier permet aux citoyen.ne.s allemand.e.s de solliciter un référendum populaire sur le sujet de leur choix à condition de recueillir un nombre suffisant de signatures. Ainsi, le 22 septembre 2013, plus de 25% des citoyen.ne.s de la ville ont voté en faveur de la remunicipalisation des réseaux de distribution de gaz, d'électricité et du réseau de chaleur de la ville (nous avons écrit un article sur ces initiatives). Ce résultat, bien qu’opposé à la volonté de la municipalité au pouvoir (avec à sa tête Olaf Scholz, actuel chancelier allemand) a une haute valeur symbolique et permet indirectement aux citoyen.ne.s de reprendre le pouvoir sur les politiques énergétiques de la ville. Les trois réseaux évoqués sont aujourd'hui exploités par des entreprises publiques qui appartiennent à 100% aux autorités locales. En résonance avec l'idéal de “démocratie énergétique”, les arguments en faveur de cette remunicipalisation sont nombreux : renforcement du contrôle démocratique, plus grande transparence, soutien au développement des énergies renouvelables, politique de prix plus juste, sécurité d’approvisionnement, ou encore canalisation et réemploi local des profits générés...
Déléguer la gestion d’une infrastructure à un.e acteur.rice public.que représente évidemment une avancée dans la démocratisation de la gestion de l’énergie. L’une des limites de ce fonctionnement est le manque d’implication des citoyen.ne.s au quotidien. Pour contrer cela, des initiatives de gouvernance partagée de l’entreprise publique chargée de la gestion du réseau existent. Le conseil d’administration peut, par exemple, être composé d’un tiers de citoyen.ne.s, un tiers d’associations ou d’entreprises locales (société civile) et le reste d’élu.e.s locaux.les, de manière à ce que les décisions collectivement prises soient représentatives de l’intérêt général. Une autre limite de ce fonctionnement est que cela ne concerne que le secteur de la distribution. Pour dépasser ces deux limites, allons nous pencher du côté des coopératives et des initiatives d’énergie citoyenne.

Rencontre avec Wielke, membre de "Unser Hamburg unser Netz" à Hambourg, 23/05/23
Levier n°2 Produire sa propre d’énergie : quand les citoyen.ne.s s’investissent elleux-mêmes dans la transition énergétique
Énergie citoyenne, communauté d'énergie, coopérative énergétique… Les mots sont nombreux pour illustrer concrètement l’idée de “démocratie énergétique”. Pour éviter les confusions, voici un petit rappel de vocabulaire :
Une coopérative est une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement. Les actionnaires sont des citoyen.ne.s disposant chacun.e d’une voix au sein du conseil d'administration (peu importe le nombre de parts qu’iels possèdent). Appliquée à l’énergie, une coopérative est souvent un groupement de citoyen.ne.s qui investissent et exploitent un projet d’énergie renouvelable.
On appelle énergie citoyenne un projet de production d’EnR qui ouvre majoritairement son capital au financement collectif et son pilotage aux acteur.rice.s locaux.les, dans l’intérêt du territoire et de ses habitant.e.s. La majorité des cas suivent le format de coopératives, mais il existe également des projets d’EnR dont l'actionnariat est partagé entre entreprises privées et citoyen.ne.s, avec une gouvernance plus ou moins horizontalisée.
Le concept de communauté d’énergie est très similaire à “énergie citoyenne”. Il existe toutefois une définition pour chacun de ces termes. La communauté d’énergie désigne en français le partage de l’énergie entre utilisateur.rice.s d'un réseau (on peut parler d’autoconsommation collective). C’est un moyen d’organiser des activités énergétiques collectives par le biais d’un système à la fois ouvert et démocratique.
Cette dernière définition est donc très proche voire identique à celle d’énergie citoyenne. L'existence de ces deux termes s’explique par le changement de langue : “energy community” se traduit en français par “énergie citoyenne”, la notion de communauté étant négativement connotée dans la langue de Molière. Les initiatives d’énergie citoyenne semblent finalement être le meilleur moyen de dépasser les blocages évoqués précédemment.
On peut lister six arguments majeurs témoignant de la pertinence de développer ces initiatives :
Acceptabilité : en ayant la possibilité d’être partie prenante et en percevant les bénéfices (directs ou indirects), les personnes résidant à proximité d’un projet d’EnR ont beaucoup plus de chance d’y être favorables. Le manque de transparence, de démocratie et de partage des bénéfices font partie des arguments les plus utilisés par les opposant.e.s à ce type de projets.
Démocratie : disposant d’un pouvoir de décision, les citoyen.ne.s se réapproprient une forme de pouvoir, se forment aux enjeux de la transition énergétique et découvrent l’action politique.
Circularité : au lieu d‘être captés par des intérêts privés délocalisés (l’entreprise qui porte le projet est rarement basée dans la région), les profits générés sont soit reversés aux citoyen.ne.s actionnaires de la coopérative, soit réinvestis dans des projets locaux à impact social et/ou environnemental (décidés par les actionnaires). La trajectoire des profits n’est pas anodine et une partie des entreprises privées actives dans les EnR financent également des projets d’énergie fossile… Un projet de coopérative énergétique garantit donc une utilisation “durable” des bénéfices réalisés.
Convivialité : un projet co-élaboré entre habitant.e.s d’un même territoire peut permettre de tisser du lien et dépasser certains clivages idéologiques ou humains. C’est en cela que la notion de “communauté” fait sens.
Sobriété : l’implication de citoyen.ne.s dans un projet collectif d’EnR peut avoir un impact sur les comportements individuels. Il est en effet beaucoup plus facile de réduire sa consommation d'électricité quand on est quotidiennement confronté aux impacts que cela induit.
Sortie des logiques de marché : Dans un système où le tarif de vente de l’électricité produite est fixé sur le long terme, les aléas du marché (hausse du prix en hiver, guerre en Ukraine par exemple) n'ont pas d’impact sur la facture des consommateur.rice.s ni sur les profits du.de la producteur.rice. Émancipé de l’instabilité des logiques de marché, ce modèle économique permet de gagner en autonomie ce qui en fait une matérialisation concrète de la décroissance.
Au-delà de cette possibilité d’auto-consommation collective, deux directives ont été adoptées par le Parlement européen en 2020 pour définir et encourager les projets d’énergie citoyenne (energy community) : d’un côté les Communautés d'Énergie Renouvelable (CER) définies dans la directive sur les énergies renouvelables, de l’autre les Communautés d'Énergie Citoyenne (CEC) définies dans la directive sur le marché de l’électricité. Ces deux définitions sont très similaires. Par exemple, toutes deux requièrent des communautés d’énergie qu’elles aient une lucrativité limitée et un impact positif sur l'environnement, le social ou l’économie locale. Plus précisément, on peut considérer les Communautés d’Énergie Renouvelable (CER) comme un sous-ensemble des Communautés d'Énergie Citoyenne (CEC), les premières ayant quelques critères supplémentaires :
-La CER doit être exclusivement composée de citoyen.ne.s, de collectivités ou de Petites et Moyennes Entreprises (PME), tandis que des grandes entreprises peuvent être membres des CEC.
-La CER doit être régie par les mêmes principes de gouvernance démocratique qu’une coopérative, elle doit être autonome, non seulement vis-à-vis des autres acteur.trice.s du marché, mais également vis-à-vis de ses propres membres.
-Les membres d’une CER doivent être basé.e.s à proximité du projet d’EnR porté. Le périmètre n’est toutefois pas précisé.
-Le panel d’activités d’une CEC est plus large que pour une CER. Une CEC peut par exemple, exercer des activités de distribution et proposer des services énergétiques quand la CER se réduit à la production d’énergie renouvelable.
Une fois entérinées, ces directives ont été traduites dans la législation de chaque pays membre de l’UE. Comme souvent, ce processus a été réalisé de manière plus ou moins fidèle au texte européen selon les pays. La finalité de ces définitions est la mise en place de mécanisme de subventions publiques adressées aux projets d’énergie citoyenne. Le projet et la modification législative sont toutefois encore trop récents pour en évaluer les effets concrets.
Alors même qu’ils représentent une solution majeure pour la transition énergétique, les projets d’énergie citoyenne restent largement minoritaires dans le mix énergétique des pays européens. En France, 315 projets sont labellisés par Energie Partagée, et représentent une production annuelle de 1225 GWh soit 0,3% de la consommation électrique nationale. En Allemagne, pays leader sur ces questions, on dénombre plus de 900 coopératives énergétiques qui produisent chaque année 8 TWh d’électricité soit 1,6% de la consommation annuelle d'électricité dans le pays.
L'exemple de BürgerEnergie Berlin : la démocratie énergétique en acte
Fondée en 2011 afin de renforcer le contrôle démocratique exercé sur la gestion de l’énergie berlinoise, BürgerEnergie Berlin est la plus grande coopérative de la ville et rassemble aujourd’hui 1 500 membres (propriétaires d’une part) dont la majorité sont des citoyen.ne.s basé.e.s dans la région. Initialement, la coopérative a été créée pour agir sur la distribution, en candidatant à l'exploitation du réseau d'électricité berlinois dont la concession arrivait à son terme en 2012. Le contrat d’exploitation ne leur ayant pas été attribué (le réseau est géré par l’entreprise publique Strommetz Berlin détenue par la municipalité), BürgerEnergie Berlin agit finalement au niveau de la production, grâce à des projets de production d’énergie solaire disséminés sur le territoire berlinois. En plus de la sensibilisation faite aux citoyen.ne.s, la coopérative milite auprès des élu.e.s locaux.les ou nationaux.les, pour plus de “démocratie énergétique”.
En réalité, une coopérative de cette ampleur est difficilement rentable et repose sur le travail de bénévoles. Sur la petite dizaine de projets en exploitation, la coopérative arrive à dégager une marge de 2%, ce qui permet de payer les cinq salarié.e.s. Comme les “communs”, les coopératives représentent une troisième voie entre l'État et le marché dans la gestion des ressources. Si le fonctionnement est similaire à l'organisation horizontale en autogestion des “communs”, la principale différence réside dans la contribution financière nécessaire pour adhérer à une coopérative. Dans le cas de BürgerEnergie Berlin, une part coûte 100€. Pour devenir membre et avoir une voix lors de l’assemblée générale, cinq parts sont nécessaires. Pour autant, un.e citoyen.ne possédant 150 parts aura autant de voix que cellui n’en n’ayant que cinq.
L’énergie citoyenne, qu’elle prenne la forme de coopérative, de communauté ou de collaboration entre entreprise classique et habitant.e.s, est donc le levier principal pour faire advenir une “démocratie énergétique” vertueuse où les citoyen.ne.s seraient libres et autonomes de la production à la consommation. Pour faciliter les nouveaux projets et multiplier les initiatives, de nombreux.ses acteur.rice.s se mobilisent à toutes les échelles : locales, nationales ou européennes. Voici quelques présentations de ces organisations que nous avons rencontrées au fil du voyage.
L’UNION EUROPEENNE : ECHELON CLE POUR UNE LEGISLATION FAVORABLE A LA “DEMOCRATIE ENERGETIQUE”
Nous évoquions dans la partie précédente la mise en place en 2020 de deux directives européennes définissant le statut de “communauté énergétique” et devant permettre d’apporter un soutien financier aux projets d’énergie citoyenne. Ces avancées législatives ne se font pas toutes seules : elles sont évidemment portées soit par la Commission européenne, soit par des eurodéputé.e.s, et adoptées par le Parlement européen. Dans le cadre de notre projet, nous avons pu échanger avec EnergyCities ou encore REScoop, deux organisations qui ont fortement contribué à ce que ces mesures soient formulées et adoptées.


EnergyCities est un réseau européen qui rassemble plus de 1 000 villes européennes situées dans plus de 30 pays pour collaborer et mutualiser les actions en faveur de la transition énergétique des villes. La remunicipalisation de la gouvernance énergétique occupe une place centrale dans leur plaidoyer. Principalement actif.ve.s à Bruxelles, iels axent leurs activités actuelles sur trois piliers :
💰Dans le cadre des négociations actuelle sur l’attribution du budget européen de 2027-2034, l’organisation milite pour que le budget finance uniquement des “Places Based Implemented Strategy” c’est-à-dire des projets réfléchis “par le bas” dans une logique d’implantation territoriale cohérente vis-à-vis des enjeux du territoire concerné. L’idée est d’inclure dans la conception du projet toutes les parties prenantes, à savoir les élu.e.s, l’administration, la société civile, les universitaires, et les acteur.rice.s économiques locaux.les.
↘️ Faire en sorte que la notion de "sobriété" (pas seulement individuelle mais systémique) soit intégrée à tous les échelons des projets financés par la Commission européenne.
✋Multiplier les initiatives de démocratie directe, par le biais de conventions citoyennes par exemple.

REScoop - European federation of citizen energy cooperatives (Fédération européenne des coopératives d’énergie citoyenne). Formée il y a un peu plus de 10 ans, REScoop est une actrice majeure dans le domaine des coopératives énergétiques. En exerçant une activité de plaidoyer auprès de l’UE, REScoop pousse la législation européenne à encourager le plus possible les coopératives énergétiques. Iels sont également actif.ve.s pour structurer le réseau et renforcer les coopérations.
LES FEDERATIONS NATIONALES : POUR FAIRE LE LIEN ENTRE INITIATIVES IMPLANTEES LOCALEMENT ET PLAIDOYER EUROPEEN
Le plaidoyer pour plus de “démocratie énergétique” réalisé à Bruxelles perdrait en efficacité sans l’appui des fédérations nationales. En France et en Allemagne, nous avons pu discuter avec ces organisations qui font le relai entre les problématiques rencontrées par les projets sur le terrain et les organisations internationales qui les représentent. La grande diversité des projets et des types d’initiatives (coopérative, énergie citoyenne, communauté, etc.) se traduit également par une certaine diversité d’organisations. Nous avons pu par exemple rencontrer Énergie Partagée pour les questions d’énergie citoyenne en France, ou DGRV qui représente l’ensemble des coopératives allemandes (dont les coopératives énergétiques) ou enfin VKU qui représente les entreprises publiques locales. Voici quelques détails sur le rôle respectif de ces organisations :

Energie Partagée est une association française dont le but est de faciliter la création de projets d’énergie citoyenne. Iels ont été créé.e.s il y a une dizaine d'années et permettent aux initiatives d’avoir accès aux outils et aux bonnes pratiques pour se développer. Iels animent le réseau national de l’énergie citoyenne et ont même la possibilité d'apporter un soutien financier à certains projets.

DGRV - Deutscher Genossenschafts- und Raiffeisenverband e.V. (coopératives allemandes et raiffeisen association). DGRV est le lobby des coopératives allemandes. Présent.e.s à Bruxelles et dans toutes les régions du pays, iels cherchent à défendre les intérêts des coopératives, qu’elles soient énergétiques (la plupart) ou actives dans d’autres domaines (agroalimentaire, secteur bancaire, etc.). En tant que groupe d’influence financé par les coopératives, iels refusent d’utiliser le terme “d’énergie citoyenne” bien que la plupart des projets d'énergie citoyenne prennent la forme de coopératives.

VKU - Verband kommunaler Unternehmen e.V. (association des entreprises municipales). De la même manière que DGRV pour les coopératives, VKU est la fédération des entreprises municipales allemandes. Il s’agit des entreprises dont l’activité est une délégation de service public et qui sont la propriété de la municipalité (comme dans l'exemple de Hambourg, où une entreprise municipale exploite désormais le réseau de distribution d'électricité). Basée à Berlin, la fédération VKU est également présente à Bruxelles et dans tous les Landër allemands. Fort.e.s de 200 employé.e.s, iels émettent des avis sur les politiques publiques pour défendre les intérêts des entreprises municipales (taxation, mécanisme de soutien, etc.).
Grâce à une grande multitude d’acteur.rice.s et d’initiatives locales, l’idéal d’une “Démocratie Énergétique” gagne du terrain dans une grande partie des pays européens. Renforcer la place de la démocratie à tous les échelons de la chaîne énergétique semble essentiel et urgent si les citoyen.ne.s européen.ne.s veulent dépasser les blocages de la transition énergétique sans faire advenir “une dictature verte”. Malgré le dynamisme du mouvement, le chemin à parcourir reste encore très long et un engagement plus ambitieux de la part des États européens est nécessaire pour faire de l'Europe un exemple de “démocratie énergétique”.
Pour aller plus loin :
-article : Au-delà de l’autoconsommation : concept de communautés énergétiques, Smart Grids (FR)
-article : C’est quoi une communauté énergétique ?, LIFE_LETsGO4Climate (FR)
-article : Énergie Citoyenne : Un guide pratique pour reprendre le pouvoir, REScoop (FR)