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Budapest

Climate Change,
Commons and Radical
Democracy in

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Bonjour à tous et toutes,  

 

À Budapest, où nous sommes resté.e.s une semaine, c’est le contexte politique qui nous a marqué. Démocratie illibérale, autocratie ou même dictature, les qualificatifs sont nombreux pour décrire le manque de pluralité d’opinions, l’absence de liberté d’expression et l’oppression des minorités. Dans cette newsletter, après un récapitulatif historique, nous allons voir comment il est possible, dans un contexte aussi difficile, de transformer les politiques en place pour plus de justice sociale, d’écologie et de démocratie, à l’intérieur ou en dehors des institutions publiques

1967 - 1989 : DE L’EMPIRE AUSTRO-HONGROIS AU REGIME COMMUNISTE D’EUROPE DE L’EST

L’une des premières questions que nous avons posées à nos interlocuteur.rice.s est la suivante : La Hongrie est-elle un pays d’Europe de l’Est ou d’Europe centrale ?

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Carte de la Hongrie et des pays voisins

Faisons un bref retour en arrière : de 1867 à 1918, la Hongrie est constitutive de l’empire austro-hongrois. Dirigé par les Habsbourg, l’empire est alors considéré comme une force majeure d’Europe centrale. Bien plus tard, après avoir successivement été une république puis une monarchie (une régence) alliée des nazis, la république populaire de Hongrie est proclamée en 1949. C’est un régime communiste totalitaire. Le pays est membre du pacte de Varsovie (Traité de coopération entre les pays est-européens et l’URSS, 1955) et peut être désormais défini comme un pays d’Europe de l’Est. En 1956 un élan révolutionnaire traverse le pays, les citoyen.ne.s s’insurgent contre le régime et la trop grande influence de l’URSS sur les politiques publiques. La révolte est réprimée dans le sang mais marque durablement la société hongroise. En effet, à partir des années 1960, bien que le discours officiel ait peu évolué, la Hongrie connaît dans les faits une libéralisation progressive des domaines sociaux et économiques. Cette politique plus laxiste que celle des pays voisins est une exception au sein du bloc de l’Est, à tel point que ce fonctionnement est surnommé “socialisme goulash” du nom de la soupe traditionnelle hongroise. Ce “socialisme goulash” désigne la “culture du détournement”, c’est-à-dire l’écart entre les discours politiques (toujours stricts dans la forme) et la réalité quotidienne des citoyen.ne.s. D’un point de vue économique, la Hongrie joue un rôle de pont entre l’Ouest et l’Est de 1960 à 1989. C’est la porte d’entrée vers l’Est pour de nombreuses entreprises occidentales, et les Hongrois.e.s jouissent de marchandises introuvables dans les autres dictatures communistes de l’époque. En 1989-1990, moment de la dislocation de l’Europe de l’Est, la Hongrie entame une transition démocratique qui se fait “par le haut”. Le multipartisme est instauré sans qu’il n’y ait de mouvement populaire le réclamant (contrairement à Solidarność en Pologne par exemple). La république nouvellement établie n’a donc pas d'assise populaire sur laquelle faire reposer sa légitimité. 

 

L’héritage du "socialisme goulash", c'est-à-dire la “culture du détournement” combiné à l'absence de légitimité populaire de la république, sont deux éléments importants pour appréhender  la situation politique hongroise actuelle. Ces clés de lecture sont toutefois loin d’être suffisantes. Le fort désintérêt des Hongrois.e.s pour la politique est un phénomène relativement récent. 

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Révolution de 1956 : À Budapest, des anticommunistes et des nationalistes placent un drapeau national hongrois sur une statue démolie de Josef Staline.

1990 - 2010 : DE LA REPUBLIQUE LIBERALE NAISSANTE A L'ELECTION D’UN AUTOCRATE

Dans un contexte de libéralisation active de tous les pays ex-communistes, la Hongrie intègre l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord, 1949) en 1999 puis l’Union Européenne en 2004. Politiquement, les vingt années allant de 1990 à 2010 sont marquées par un jeu politique équilibré entre les partis traditionnels de gauche et de droite. De 1998 à 2002, Viktor Orbán fait un premier mandat de premier ministre caractérisé par des débats sur l’intégration européenne (à laquelle il est favorable) avant de devoir rendre son poste lors des élections législatives de 2002 au Parti socialiste hongrois (Magyar Szocialista Párt).

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Premier ministre hongrois, Viktor Orbán
licence: CC-BY 2.0

La crise économique de 2008 affecte particulièrement une Hongrie économiquement dépendante des nations occidentales. Le gouvernement libéral de l'époque développe une politique d’austérité qui renforce les inégalités sociales et génère un sentiment de colère et de défiance de la part des citoyen.ne.s vis-à-vis de la gauche. Deux ans plus tard, la déception se constate lors des élections législatives qui offrent plus de deux tiers des sièges de l’Országgyűlés (l’Assemblée nationale) au Fidesz, le parti de Viktor Orbán. 

2010 - 2023 : LA PENTE DOUCE VERS LA DICTATURE

En 2010, après avoir récupéré le poste de premier ministre, Viktor Orbán a suffisamment de pouvoir (⅔ du parlement) pour modifier la constitution. Il engage alors habilement et progressivement la Hongrie sur le chemin de l'autocratie (régime politique où un seul individu détient le pouvoir). Au grès des lois de modification de la constitution, Orbán s’attaque à la liberté des médias, criminalise le sans-abrisme, modifie le nombre de parlementaires et le périmètre des circonscriptions des député.e.s, se positionne radicalement contre l’immigration, met en scène les racines chrétiennes du pays (alors qu’il est lui-même agnostique) et plus récemment, restreint les droits des homosexuel.le.s et transexuel.le.s.

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Orbán considère sa politique comme étant illibérale. On peut définir l’illibéralisme par le rejet des principes du libéralisme au sens politique. C'est-à-dire une démocratie, dans laquelle le suffrage universel reste présent, mais où la pluralité d’opinion n’est pas respectée, où l’indépendance de la justice et des médias est malmenée. Cette notion est complexe car elle est accompagnée d’une politique économique ultra-libérale : forte privatisation des domaines comme la santé, TVA la plus élevée d’Europe (27%), flat tax (niveau d’imposition égal peu importe le niveau de revenu), etc… Viktor Orbán dispose d’une solide popularité parmi les citoyen.ne.s hongrois.e.s, en particulier dans les zones rurales. Cette réputation s’explique notamment par le succès des politiques économiques mises en place au début des années 2010, bien aidé par les aides financières massives de l’Union européenne. Bien que critiquée pour le non-respect des libertés individuelles par la plupart des pays membres, la Hongrie conserve un rôle stratégique majeur au sein de l’Union européenne, notamment sur les questions de transition écologique et de réindustrialisation. En effet, le pays se positionne comme un acteur clé dans la production de batteries et de véhicules électriques, nécessaire à la décarbonation du secteur du transport et centrale dans l’objectif voté par les parlementaires européens sur l’interdiction des véhicules thermiques en UE à l’horizon 2035. En se rendant à nouveau dépendante économiquement de dictatures étrangères, l’Union européenne semble reproduire les mêmes erreurs que par le passé, à la différence près que les pays en question sont maintenant sur le territoire européen (Hongrie ou Serbie) et non sur un autre continent (Russie, pays du Golfe).

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Pour décrédibiliser l’opposition et renforcer son pouvoir, le gouvernement oriente les subventions européennes qu’il reçoit aux municipalités pro-Fidesz. Cette politique de favoritisme économique met les rares politicien.ne.s issu.e.s de l’opposition à genoux et pousse certaines institutions publiques locales à s’endetter. À priori, la ville de Budapest, dirigée par Gergely Karácsony issu du parti écologiste Párbeszéd – Zöldek (Dialogue pour la Hongrie - les Verts) est au bord de la faillite.  

 

Fortement inspiré de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, le populisme néolibéral et conservateur de Viktor Orbán est méthodiquement construit et constitue une grande source d’inspiration pour les partis de droite européens, le Fidesz était membre du PPE, le parti de droite au parlement européen jusqu’en 2021. À des échelles différentes, Viktor Orbán semble également influencer certaines personnalités politiques françaises comme Marine Le Penle parti Les Républicains ou encore Emmanuel Macron.

L’ENGAGEMENT POLITIQUE EN HONGRIE : CHANGER LES CHOSES DE L’INTERIEUR ? 

En renforçant ses pouvoirs, Viktor Orbán oblige ses opposant.e.s à se réinventer. 

 

Plusieurs stratégies existent parmi les militant.e.s :
-Prendre le pouvoir à l’échelle locale ou nationale et tenter d’agir depuis l’intérieur des institutions publiques… ce qui contribue à jouer le jeu d’Orban en laissant croire que la pluralité politique existe.

-Agir en parallèle des institutions, à l’échelle locale toujours, dans la continuité de la “culture du détournement” hongroise.

 

Avec les exemples qui vont suivre, nous allons voir les possibilités et les limites de ces deux approches, qu’elles soient politiques, administratives ou tout simplement humaines… 

Le mouvement Szikra et le député de gauche radicale András Jámbor

C’est en conscience de l’hostilité du système politique actuel que le mouvement de gauche écologiste Szikra a choisi son nom. En hongrois, Szikra signifie “étincelle” et l’étincelle en question c’est András Jámbor, seul député issu d’une formation de gauche radicale à siéger à l’Assemblée nationale hongroise. Formé dans la continuité des luttes pour les droits sociaux et l’accès au logement à Budapest, le mouvement s’appuie sur une communauté resserrée de militant.e.s pour lier et porter la voix des initiatives et des luttes locales déjà existantes dans le pays. L’enjeu est de casser le récit hégémonique omniprésent du gouvernement en amenant un nouveau narratif et des mesures concrètes dans le débat public, notamment sur les questions d’accès aux logements.

 

En amont des élections législatives de 2022, l’ensemble des partis opposés à Viktor Orbán se sont rassemblés sous une bannière commune, Egységben Magyarországért (Unis pour la Hongrie), s'étendant de la gauche radicale aux partis libéraux de droite conservatrice. Le scrutin est tel que la moitié des député.e.s sont désigné.e.s à la proportionnelle (résultats cumulés à l’échelle nationale) et l’autre moitié en obtenant la majorité dans une circonscription. Pour les circonscriptions, les partis d'opposition ont organisé des primaires afin de désigner le candidat unique de la coalition. András Jámbor, fondateur du média indépendant Mérce (qui signifie jauge) et membre du mouvement Szikra, s’est présenté et a remporté la primaire organisée dans la circonscription réunissant les populaires 8ème et 9ème arrondissements de Budapest. Après s’être présenté comme candidat de la coalition d’opposition au scrutin officiel en 2022, il remporte l'élection et devient le seul député à assumer un positionnement de gauche radicale au sein de l’Assemblée nationale.  

 

Concrètement, cette stratégie du “un pied dehors, un pied dedans” avec les institutions publiques doit permettre à András Jámbor d’être un porte-voix pour les politiques alternatives. Par exemple, lors de ses prises de parole au Parlement, il cherche à promouvoir les initiatives de démocratie participative, milite pour une meilleure distribution des richesses et demande la mise en place d’aides pour la rénovation des passoires thermiques. À l'extérieur de l'institution, Szikra multiplie les liens avec les syndicats locaux ou des mouvements internationaux. Iels entretiennent des relations avec des mouvements citoyens évoluant dans des contextes politiques similaires comme en Pologne. 

 

"Si on continue de refuser le politique, on ne va jamais rien changer."
Áron Rossman-Kiss membre du mouvement Szikra

 

L’impact réel du mouvement est difficile à quantifier. Les obstacles politiques sont nombreux et souvent insurmontables. Avoir un député siégeant à l’Assemblée nationale est le maximum qu’iels puissent faire dans un contexte politique aussi bloqué. Fort de ces 200 à 300 adhérent.e.s le mouvement Szikra ne compte toutefois pas s’arrêter là et espère gagner en influence dans les prochaines années.

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L’écologie et le pouvoir local : rencontre avec Gábor Erőss, maire-adjoint du 8ème arrondissement de Budapest

Gábor Erőss, auteur en 2021 d’une lettre ouverte au Président E. Macron, est maire-adjoint du 8e arrondissement de Budapest, chargé des questions relatives au changement climatique, à la culture, aux minorités ethniques et à l’éducation. Après une thèse soutenue à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) à Paris, il est devenu chercheur à l’institut de sociologie de l'académie hongroise de sciences avant son mandat. Son parti, le Párbeszéd–Zöldek (Dialogue pour la Hongrie - les Verts), allié aux autres partis de gauche, a remporté les élections municipales de 2019 dans la capitale et est majoritaire dans la plupart des 22 arrondissements de la capitale. 


En poste depuis 3 ans et demi, Gábor Erőss et ses équipes sont soumis aux pressions de l'État sur les municipalités gérées par l’opposition. En contrôlant l’appareil législatif, Viktor Orbán empêche les élu.e.s locaux.les d’engager des politiques locales ambitieuses. Voici une liste non exhaustive de cette stratégie : 
-Le retrait de compétences : Le Fidesz retire des compétences aux municipalités. Les écoles primaires étaient auparavant gérées par les municipalités. Depuis une modification de la constitution, il est désormais inscrit que les écoles primaires doivent être administrées par l'État. Idem pour la gestion du réseau de sages-femmes ou de certaines compétences en matière d’urbanisme. 

-La bataille pour la propriété foncière : En rachetant des terrains, des édifices, ou en s’appuyant sur le Parlement national, Viktor Orbán “nationalise” de nombreuses parcelles et de nombreux bâtiments appartenant initialement aux municipalités. 
-La pression financière : En restreignant les subventions nationales et en adressant les subventions européennes à ses soutiens ou en les ciblant avec des impôts spéciaux, le parti au pouvoir tient la dragée haute aux municipalités de l’opposition, notamment de gauche. Au point que la ville de Budapest doit s’endetter pour payer ses charges d’exploitation comme le réseau de transports en communs. Les municipalités de l'opposition sont également décrédibilisées dans les médias nationaux dépendant du pouvoir d’Orbán qui pointent leurs prétendues “incompétences” sans expliquer les manipulations financières à l'œuvre.

 

Malgré les contraintes, la mairie du 8ème arrondissement a lancé plusieurs initiatives, comme la mise en place d’un budget participatif. La suppression de places de parkings pour que les rues du quartier gagnent en convivialité fait par exemple partie des exemples de projets retenus par les citoyen.ne.s. La mairie travaille également sur des programmes d’égalité des chances dans les écoles (maternelles), afin d'accroître la mixité sociale et lutter contre la ségrégation des Tziganes dès le plus jeune âge. Sur les questions de biodiversité et d’adaptation au changement climatique, Gábor Erőss milite pour un projet de forêt urbaine qui ne devrait finalement pas voir le jour, le terrain ayant été récupéré par l’État pour y construire des terrains de foot (avec du gazon synthétique…). 
 

Comme beaucoup d’intellectuel.le.s hongrois.e.s, Gábor Erőss a fait des études à l’étranger et reste très imprégné de la culture européenne. Il s’inspire notamment de villes comme Paris pour sa politique de cyclo-mobilité ou de lutte contre la précarité énergétique. Quand on lui demande comment l’Union européenne peut soutenir les municipalités d’opposition face à l’État d’Orbán, il répond : 

“C’est ambigu, avant il y avait ce discours dominant des nationalistes qui était de dire que nous, l’opposition, sommes des 'traîtres à la patrie' car on demande aux institutions européennes de conditionner les subventions européennes à des critères démocratiques ou autre. Aujourd’hui, le débat est passé : le fait de s’adresser aux institutions européennes est devenu légitime et plus facile à assumer.” 

Gábor Erőss

Il estime que l’Europe n’est pas assez fédérale et que les critères démocratiques devraient primer avant tout. À l’heure actuelle, les fonds européens négociés dans le cadre du Plan National de Relance et de Résilience (PNRR) au lendemain de la crise du covid, sont “bloqués” à Bruxelles pour la Hongrie. Il faut dire que paradoxalement, l’Europe a joué un rôle clé dans la mise en place du “système Orbán”, ce dernier utilisant depuis longtemps ces subventions pour (quand il n’est pas détourné) financer des projets localisés dans des villes favorables au Fidesz. Un rapport rédigé par l’eurodéputé Judith Sargentini demande justement au Conseil de l’europe d'examiner le risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union européenne a été créée (2018)

Rencontre avec Áron Rossman-Kiss, le 07/06/23

Rencontre avec Gábor Erőss, le 07/06/23

AGIR CONCRETEMENT EN DEHORS DES INSTITUTIONS : COMMUNS ET CULTURE DU DETOURNEMENT EN EUROPE DE L’EST 

Et si les pays est-européens étaient en fait les mieux positionnés pour le nécessaire changement de paradigme qu’exige la transition écologique ?

 

De par leur héritage communiste, ces pays, dont fait partie la Hongrie, conservent une certaine habitude de solidarité, d'empathie, de care en dehors des institutions publiques ou privées. Cette culture du “commun” est centrale et vive dans un pays dans lequel les institutions publiques sont soumises à un régime autoritaire. Dans un monde décroissant, les valeurs de simplicité, de convivialité et d’entraide promues par la culture du “commun” sont les bases du fonctionnement de la société, où la consommation est raisonnée, la production encadrée et les rapports humains enrichis.

 

Bien que constamment menacée par la libéralisation de l’économie qui s'est accélérée dans les années 1990, de nombreux communs existent à Budapest. Le grand nombre de bâtiments abandonnés a facilité la création d’espaces alternatifs au cours des 30 dernières années. Très vivant dans les années 1990 puis 2000, un dense réseau d’alternatives (bars, initiatives citoyennes, coopératives, etc..) s’est structuré et a connu  son apogée dans les années 2016-2017. Loin d’avoir disparu, cette contre-culture budapestoise a tout de même été affaiblie par la crise du covid, le changement de génération et le processus de touristification de la ville. 

Cargonomia : Entre agriculture biologique en circuits courts, vélo-cargos et décroissance 

 

C’est dans ce contexte qu’en 2015 se lance officiellement le projet Cargonomia (le projet a commencé à prendre forme dès 2010). Un groupe de 5 ami.e.s, imprégné.e.s de cette vie alternative, décident de quitter le modèle dominant pour expérimenter quelque chose de nouveau. À partir de leurs connaissances et réseaux respectifs, iels créent cette initiative mêlant culture vélo, agroécologie, décroissance, politique et recherche.

Concrètement, Cargonomia se définit comme la convergence de plusieurs initiatives déjà existantes : 
-L’atelier d'auto réparation de vélos Cyclonomia
-La ferme d’agriculture biologique Zsámboki Biokert  
-Le service de coursier.ère.s auto-organisés Kantaa 

 

a) Cyclonomia : les vélo-cargos comme matrice commune

A partir des années 2010, les membres de l'atelier vélo se forment à la soudure et commencent à construire, entre autres, des vélo-cargos pour transporter des marchandises en milieu urbain. En plus de montrer une autre façon de se déplacer en ville et de proposer un système logistique alternatif débarrassé des véhicules thermiques polluants, les vélo-cargos font de Cargonomia un point de rencontres entre différents projets et un lieu de sociabilité. Ce mode de transport low-tech permet de façonner des échanges nouveaux, basés sur des relations économiques et sociales équilibrées, et de dessiner un futur plus lent et désirable. Loin de se réduire à un “magasin de vélos”, Cyclonomia est avant tout un “centre social”, un espace permettant aux citoyen.ne.s d’acheter ou d’emprunter un vélo-cargo pour un déménagement par exemple ou simplement réparer en autonomie leur propre bicyclette. Cyclonomia propose également un service cyclo-logistique, assurant la livraison en ville des paniers de fruits et légumes locaux bio issus de la ferme de Zsámboki Biokert et une continuité entre les milieux urbains et ruraux. Le service de coursier.ère.s auto-organisés est assuré par la petite entreprise “Kantaa”, faisant également partie de l’univers Cargonomia.


Alors qu’une voiture pèse plus d’1 tonne pour transporter une personne de 70kg, un vélo, pèse uniquement le poids d’une personne pouvant transporter 10 fois sa charge. Le vélo-cargo permet donc de sortir de l'absurde dépendance à la voiture, de renouer avec la juste mesure et d’acheminer les biens et services essentiels. Si l’initiative de Cargonomia est difficilement réplicable telle quelle en dehors de Budapest, elle peut être source d’inspiration. L’un des fondateurs franco-hongrois du projet, Adrien, a quitté Budapest pour revenir en France et créer son propre atelier vélo "Veloma", inspiré des valeurs de Cargonomia. 

 

b) Zsámboki Biokert (Jardin biologique Zsambok) : entre ferme bio et expérimentation écologique et sociale 

 

Située dans le village de Zsámbok, à une cinquantaine de kilomètres de Budapest, la ferme de 3,5 hectares de Zsámboki Biokert est née en 2010. Reposant sur un modèle d’agriculture biologique et biodynamique, la ferme produit des fruits et des légumes vendus au marché à 40% et sous formes de paniers en lien avec Cargonomia en ville (60%). La livraison s’appuie sur un système de pré-commande inspiré des AMAP (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne). Chaque semaine, la ferme de Zsámboki Biokert distribue une centraine de paniers. Avec cinq salarié.e.s, la ferme crée une dynamique au sein du village de Zsámbok et offre des salaires plus rémunérateurs que ceux perçus usuellement par les agriculteur.rices hongrois.e.s. Zsámboki Biokert est donc un espace social et convivial qui concilie enjeux sociaux et écologiques, et propose un modèle économique alternatif émancipé des logiques de profit. Le lien avec Cargonomia assure à la ferme une stabilité et une connexion à la ville.

c) De l’action concrète locale à la diffusion des idées de la décroissance

Les membres de Cargonomia participent à de nombreux évènements pour faire la promotion de ses vélo-cargos et des valeurs de décroissance qu’ils incarnent. Parmi leurs partenaires, on peut citer la coopérative Gólya, qui tient un bar alternatif et est active dans la distribution et la rénovation de bâtiments, ou l’association Valyo, qui milite pour que les rives du Danube soient considérées comme un commun accessible à tous.tes. Comme beaucoup des initiatives que nous avons rencontrées pendant le voyage (à L’Asilo de Naples ou à Christiania à Copenhague par exemple) les membres de Cargonomia doivent relever le défi du choc générationnel, la nouvelle génération hongroise étant moins imprégnée de la culture du commun (et réciproquement, plus imprégnée par l'individualisme occidental) que ses ainé.e.s (dont un certain nombre émigre dans d’autres pays européens). Consciente de cette nécessité de transmission, l’équipe accueille de nombreux.ses visiteur.se.s d’horizons différents : 
-Des scolaires, qui viennent faire des activités à la ferme par exemple.
-Des étudiant.e.s internationaux.les, en échange universitaire ou en stage : nombre d’entre elleux sont issu.e.s des grandes écoles d'ingénieur.e.s françaises et partagent leur quotidien en alternant travail à la ferme et recherche sur des sujets relatifs à la décroissance.   
-Des journalistes, chercheur.e.s ou groupes de curieux.se.s de passage à Budapest (comme nous).

CC-CoRDE à la ferme de Zsámboki Biokert, avec les stagiaires de Cargonomia, le 08/06/23

Rencontre avec Valyo, le 10/06/23

En apportant un narratif commun aux initiatives dont iels sont partenaires, Cargonomia fait le pont, très concrètement, entre pratique et théorie. Stratégiquement, iels assument leur statut d’utopie simple, concrète, et de façade pour la diffusion des idées de la décroissance, sans tomber dans le piège de la quête du profit et de la course aux dossiers de subventions.

 

“Il faut faire attention avec les utopies. Le risque c’est d’entraîner trop de gens avec nous et si ça s’effondre c’est un désastre. Nous on essaie des petites expérimentations… Si Cargonomia se casse la gueule, il n’y a pas des millions de gens derrière donc on fait petit à petit.”  

Vincent Liegey, co-fondateur de Cargonomia

 

Plusieurs des co-fondateur.rice.s contribuent activement à la diffusion des idées de la décroissance. Parmi elleux, Vincent Liegey est très présent dans le débat et les médias français ainsi que dans les réseaux internationaux de la décroissance. Logan Strenchock, autre co-fondateur intervient quant à lui à la Central European University (CEU) de Budapest sur les sujets d’agriculture biologique. Ou encore Orsolya Lazányi ("Orsi"), dont la thèse de doctorat réalisée à l'Université Corvinus de Budapest en 2022, est "Une enquête d'économie écologique sur l'économie sociale et solidaire" (EN) ayant pour object d'étude Cargonomia.

 

Ce jonglage constant entre idées et action fait de Cargonomia une vitrine assumée de la décroissance en action. Quand on lui demande quelle stratégie adopter pour éviter le crash écologique à venir, Vincent Liegey nous répond que le crash est inévitable. Tout l’enjeu est alors de faire comprendre ce qui se passe, de renforcer la production locale, les solidarités et préparer les esprits dans une logique de “pédagogie de la catastrophe”. À rebours du catastrophisme, cette pédagogie soutient qu’il faut rendre la société suffisamment familière à une idée politique pour qu’au lendemain d’une crise profonde, elle emprunte la voix de la décroissance plutôt que celle d’un néolibéralisme de plus en plus totalitaire. Cette stratégie semble particulièrement pertinente au regard des effets de la crise du covid, qui, malgré les éphémères débats sur “le monde d’après”, n’a fait que renforcer le contrôle sur les  citoyen.ne.s et le pouvoir des entreprises. Enfin, et surtout, Cargonomia place au centre de son quotidien la notion de convivialité, chère au penseur Ivan Illitch, ce qui lui garantit probablement une certaine durabilité. 

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